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Démographie carcérale

 

En général, on parle indistinctement de démographie carcérale, de démographie pénitentiaire ou de démographie pénale. Il parait préférable d’utiliser le terme de démographie carcérale pour désigner l’étude des populations sous écrou, en réservant l’expression démographie pénitentiaire à l’étude du placement sous main de justice incluant milieu fermé et milieu ouvert. L’expression de démographie pénale a un sens beaucoup plus large. On parle parfois aussi de démographie criminelle. On peut inclure, dans ce concept, l’étude de toutes les populations qui ont à rendre compte devant la justice pénale au sens large du terme : personnes mises en cause par la police, personnes déférées devant le parquet, mises en examen, placées sous écrou,  détenues, condamnées, etc. (Tournier, 2007).

L’écrou (au Canada, l’admission) est l’acte juridique qui marque le fait qu’une personne est placée dans un établissement pénitentiaire, sous la responsabilité de son directeur,  à compter de telle date, sur la base de tel titre d’écrou, pour tel motif (infractions poursuivies ou sanctionnées). Il importe de distinguer l’écrou d’une personne libre, de l’écrou d’une personne transférée d’un autre établissement. Le placement sous écrou peut ne pas correspondre à une entrée en détention : il en est ainsi, en France, pour le placement ab initio d’un condamné sous surveillance électronique (PSE) ou à l’extérieur sans hébergement pénitentiaire. Dans ce cas la personne est sous écrou, mais non détenue.

La démographie carcérale étudie la dimension des populations carcérales, leurs structures pénales et socio-démographiques, leur évolution dans le temps, leur distribution dans l’espace. L’existence de ces populations est essentiellement régie par le mécanisme élémentaire suivant :

  • des individus sont écroués et entrent ainsi dans la population carcérale ;
  • des individus font l’objet d’une levée d’écrou, ils sont libérés et sortent ainsi de la population ;
  • un certain laps de temps s’écoule entre l’écrou et la levée d’écrou d’un même individu ; ce temps passé sous écrou, différent selon les individus, assure la coexistence, à tout moment, d’un nombre variable de personnes qui constituent précisément la population carcérale.

L’analyse démographique s’organise autour de l’approfondissement de ce mécanisme de renouvellement de la population ; on s’efforcera par exemple de déterminer les liens existant entre les modalités des processus d’écrou et de levée d’écrou (flux) et l’effectif (stock) de la population carcérale. On voit ici toute l’importance accordée par cette discipline à la distinction entre stock et flux.

Instrument d’étude de ces modes de renouvellement des populations, l’analyse démographique dispose de modèles élémentaires, fournissant des populations de référence, faciles à décrire, qui permettent par comparaison de juger certaines situations concrètes (Tournier, 2002).  Le modèle le plus simple est celui de la population stationnaire. Une population est dite stationnaire si les entrées annuelles dans la population (E) sont constantes et si les sorties de chaque génération – cohorte des individus entrés une même année - se font selon le même rythme, selon le même calendrier. On peut alors démontrer que l’effectif de la population, à un instant donné (P) est égal au produit du nombre des entrées annuelles (E) par la durée moyenne de séjour dans la population (d, exprimée en années) : P = E x d. Cette équation implique qu’une population stationnaire a un effectif constant. Quand on ne dispose pas de statistiques sur les durées de détention, individu par individu et donc de la moyenne exacte de ces durées, on peut avoir recours à ce que l’on a appelé l’indicateur de la durée moyenne de détention, obtenu en divisant l’effectif moyen de détenus sur une année (stock) par le nombre d’entrées de l’année (flux) : d = P / E.  Avoir cette équation sous les yeux « P = E x d », c’est se rappeler que l’on ne peut pas agir efficacement, en cas d’inflation carcérale, sans s’occuper de deux fronts : les entrées et les durées.

Aussi a-t-on été amené logiquement à construire une typologie des mesures et sanctions pénales alternatives à la privation de liberté qui s’en inspire. Est dit alternative de 1ère catégorie, toute mesure qui a pour conséquence de réduire le nombre d’entrées en détention. Il en est ainsi des peines d’emprisonnement avec sursis à exécution ou du travail d’intérêt général, quand la sanction est prononcée à l’encontre d’un prévenu libre. Ces alternatives peuvent être dites radicales. En évitant l’entrée en détention, elles permettent au prévenu ou au condamné d’échapper totalement à la détention, de ne pas connaître la prison.

Les alternatives de 2ème catégorie permettent de réduire la durée de la détention, ou plus précisément le temps passé sous écrou. C’est alors une mesure de moindre mal, elle est partielle ou  relative : le recours à la prison n’a pas pu être évité, mais on fait en sorte de réduire le temps passé sous écrou par tel ou tel moyen. Dans ce schéma, les réductions de peine pour bonne conduite ou pour gages sérieux de réadaptation sociale, les grâces, individuelles ou collectives, concernant des personnes détenues, sont des alternatives de 2ème  catégorie. Il en est de même de la libération conditionnelle : elle ne réduit pas le temps d’exécution de la peine, mais elle permet une libération anticipée – avec levée d’écrou -, le reliquat de la peine étant alors effectué en milieu ouvert. Ainsi la question de l’aménagement des peines apparaît bien comme partie intégrante de la problématique des alternatives à la privation de liberté.

Mais il existe aussi des mesures qui réduisent le temps réellement passé derrière les murs  sans levée d’écrou. C’est le cas, en France,  des permissions de sortir, de la semi-liberté, du placement à l’extérieur, mesures qui elles aussi sont, de fait, des mesures alternatives à la prison mais qui n’évitent pas la mise sous écrou  et ne réduisent pas la durée du temps passé sous écrou. C’est aussi parmi ces alternatives de 3ème catégorie  que l’on doit classer le placement sous surveillance électronique (PSE), dernier avatar de la prison du XXIe siècle.

Mais la démographie carcérale s’intéresse aussi à tous les événements judiciaires, administratifs, humains qui vont avoir une influence sur le temps passé sous écrou ou en détention, leurs conditions, leurs durées : condamnations, mesures d’aménagement des peines et des mesures, transfèrements, incidents, mesures disciplinaires, décès, etc. Contrairement à ce que l’on dit ou écrit si souvent, la prison n’est pas «le lieu de l’exécution des peines privatives  de liberté», du  moins pas seulement. Nombre de personnes mises en détention sont prévenues (non encore condamnées définitivement). Aussi bénéficient-elles de la présomption d’innocence. En dehors de toutes autres considérations qu’il conviendrait de prendre en compte,  le temps carcéral vécu par une personne en attente de jugement (de 1ère instance ou définitif) ne peut être de même nature que celui d’un détenu condamné, engagé, pour quelques mois ou des années, dans l’exécution de la peine dont il connaît la fin. Et cela même s’il peut espérer être libéré de façon anticipée… ou s’évader. C’est ce qui explique le fait que la question du temps carcéral  liée à celle de la catégorie pénale  soit au cœur de la démographie carcérale (Barré et Tournier, 1988).

Une variable essentielle, la catégorie pénale. A l’instant t, la population carcérale est constituée de prévenus et de condamnés. Est considéré comme condamné, tout détenu ayant fait l’objet d’une condamnation définitive : la personne doit avoir épuisé ses voies de recours (appel et pourvoi). Sont considérés comme prévenus, les détenus qui ne sont pas des condamnés définitifs. Ils peuvent être en attente d’un premier jugement ou avoir déjà été jugés en première instance. Si la personne est impliquée dans plusieurs affaires, son statut de condamné dans une affaire prime sur le statut de prévenu. La catégorie pénale est définie à un instant donné et peut, naturellement changer au cours de la détention ; c’est une caractéristique d’état. Ce concept de catégorie pénale à la date t doit être distingué de celui que l’on a été amené à introduire, la catégorie pénale chronologique qui n’a de sens que pour des détentions achevées (Barré, Le Toqueux, Tournier, 1982). Il s’agit d’attribuer un statut pénal à la détention en faisant référence à la catégorie pénale du détenu : prévenu et condamné. La détention sera ainsi décomposée en durée de détention provisoire et durée de détention en tant que condamné, un de ces facteurs pouvant naturellement être nul pour telle ou telle détention : écrou sur extrait de jugement (détention provisoire nulle),  libération en cours  d’instruction (détention en tant que condamné nulle). Cette décomposition fait nécessairement appel à des choix hiérarchisés en cas d’affaires multiples, lorsque plusieurs motifs d’écrou justifient un même temps de détention. Prenons un exemple.

Le 1er janvier 2005,  Victor D  est mis sous écrou sur mandat de dépôt pour viol (affaire I). Le 1er mars  2005 est mis à exécution  un extrait de jugement dans une autre affaire  (affaire II). Il s’agit d’une peine  d’un an d’emprisonnement ferme pour vol simple. Victor D. bénéficie d’un crédit de réduction de peine de 3 mois. Fin de peine prévue : 1er décembre 2005.  A cette date, il est maintenu en détention du fait du mandat de dépôt dans l’affaire I. Le 1er avril 2006, il  est  acquitté par la cour d’Assises dans l’affaire I. et libéré.  Entre le 1er mars et le 1er décembre (9 mois), le statut de condamné dans l’affaire II. prime sur celui de prévenu dans l’affaire I. La décomposition de cette détention d’un an et 3 mois selon la catégorie pénale dite chronologique est la suivante : détention en tant que prévenu = 6 mois (soit 40 %), détention en tant que condamné = 9 mois (soit 60 %).

Ce concept de catégorie pénale chronologique est à distinguer de celui de catégorie pénale à la date t. Prenons un second exemple.

Le 1er janvier 2005, Clara H est mise sous écrou sur mandat de dépôt pour vol avec violence et  conduite sans permis. Le 1er mars 2005, elle fait l’objet d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Le 1er juin 2005, le tribunal la condamne à dix-huit d’emprisonnement dont six mois avec sursis. Elle bénéficie d’un crédit de réduction de peine de 3 mois. Date de fin de peine prévue : 1er octobre 2005. A cette date, elle est libérée. La décomposition des 9 mois, faite a posteriori, est la suivante : détention en tant que prévenu = 5 mois (soit 56 %), détention en tant que condamné = 4 mois (soit 44%). On sait en fin de détention que Clara H. n’a pas fait appel de la décision du tribunal correctionnel. Donc a posteriori la condamnation est devenue définitive dès le 1er juin. Dans la réalité, Clara H. a eu le statut de prévenue pendant plus longtemps. Si en temps réel, on se pose la question de sa catégorie pénale dans les jours qui ont suivi le jugement du 1er juin, la réponse est « prévenu », car elle est encore dans les délais pour faire appel, voire pour se pourvoir en cassation.

Dans une recherche déjà ancienne (Barré, Tournier, 1988), portant sur un échantillon national d’entrants de 1983 suivis au maximum pendant 27 mois – le temps nécessaire pour que plus de 95 % des entrants aient été libérés - la décomposition de la détention était la suivante : détention en tant que prévenu = 50 %,  détention en tant que condamné = 50 %. Au 1er janvier 1983, la proportion de prévenus était de 51 % (France entière), soit deux fois plus qu’aujourd’hui. Pour des statistiques européennes, on consultera les rapports SPACE 1 (Aebi et Delgrande, 2010a) et SPACE 2 (Aebi et Delgrande, 2010b) produits par le Conseil de l’Europe.

Références

  • Aebi M., Delgrande N., 2010a, Annual penal statistics SPACE 1 Survey 2008, Strasbourg, Conseil de l’Europe, http://www.coe.int/t/f/affaires_juridiques/coop%E9ration_juridique/empri....
  • Aebi M., Delgrande N., 2010b, Annual penal statistics SPACE 2 Non-custodial sanctions and measures served in 2007, Strasbourg, Conseil de l’Europe, http://www.coe.int/t/f/affaires_juridiques/coop%E9ration_juridique/empri....
    Barré M-D., Tournier P. V., 1988, La mesure du temps carcéral, observation suivie d’une cohorte d’entrants, Déviance & Contrôle social, 48, Paris, Ministère de le Justice, CESDIP, 1988, 199 pages.
  • Barré M-D., Le Toqueux J-L., Tournier P. V., 1982,  Algorithme de détermination des durées au sens de la catégorie pénale chronologique, Concepts & Méthodes, 10, Paris, direction de l’administration pénitentiaire, 1982, 15 pages.
  • Tournier P. V., 2002, Contribution de la démographie carcérale au débat sur la question pénitentiaire, in Defaud N., Guiader V. (dir.), Discipliner les sciences sociales. Les usages sociaux des frontières scientifiques. Editions L’Harmattan,  Coll. Les Cahiers Politiques, Université Paris IX Dauphine, Centre de recherches et d’études politiques, 125-141.
  • Tournier P. V., Dictionnaire de démographie pénale. Des outils pour arpenter le champ pénal, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, données actualisées au 1er mai 2007, 133 pages.http:// histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Tournier/ARPENTER-OUVRAGE.pdf
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Surpopulation des prisons

 

Le concept de surpopulation des prisons ou de surpopulation carcérale ne doit pas être confondu avec celui d’inflation carcérale (Conseil de l’Europe, 2000). Parler d’inflation carcérale, c’est constater que l’augmentation du nombre de personnes détenues à un instant donné  est « très importante » c’est-à-dire sans commune mesure avec l’augmentation du nombre d’habitants. Par exemple,  la France a connu, entre le 1er janvier 1975 et le 1er janvier 1995,  un accroissement de 98 % du nombre de détenus contre 10 % seulement pour le nombre d’habitants (métropole). Ainsi en 20 ans, le taux de personnes détenues, qui permet de raisonner à nombre d’habitants constant, est passé de 49 à 89 pour 100 000 habitants. Dans cette façon de voir les choses, on fait un constat sur l’ampleur de l’accroissement du taux de personnes détenues sans se poser, à ce niveau, de questions en terme de causalité (accroissement et transformation structurelle de la délinquance et de la criminalité ? sévérité accrue des juridictions de jugement ? etc.) et sans référence aux questions de capacité des établissements pénitentiaires. Le concept d’inflation carcérale n’a de sens qu’en référence à un intervalle de temps suffisamment long pour que les évolutions ne soient pas simplement conjoncturelles, à la différence du concept de surpopulation des établissements pénitentiaires qui se réfère, de prime abord, à la situation à une date t donnée.

L’expression  de  surpopulation a, dans le langage courant, deux sens assez différents : un sens général « il y a trop de détenus » sans que l’on précise sur quels critères on se base pour affirmer ce diagnostic, un sens plus précis qui se réfère à la capacité des établissements pénitentiaires. Dans ce second sens, il est question de l’inadéquation, à un instant t, entre le nombre de détenus et la capacité « d’accueil » dans les établissements pénitentiaires. La surpopulation est alors évaluée par deux indices définis infra la densité carcérale et le nombre de détenus en surnombre. Certes, il existe généralement des liens entre surpopulation et inflation carcérale, mais rien n’est simple. L’inflation accentue le problème de la sur-occupation des lieux de détention, faute de constructions suffisantes. Mais la sur-occupation ne peut-elle pas diminuer l’inflation, en mobilisant les pouvoirs publics dans le sens d’une diminution du recours à la prison ? La sous-occupation - obtenue par une politique de développement inconsidéré du parc pénitentiaire ne peut-elle pas favoriser l’inflation ? On sort ici des certitudes pour laisser place, compte tenu du manque de travaux en la matière à de pures hypothèses. Toujours est-il que distinguer les deux concepts permet au moins de poser les problèmes de leur lien.

La notion de capacité d’un établissement pénitentiaire (nombre de places opérationnelles à un instant t) est évidemment difficile à cerner. Ne suffit-il pas d’installer un matelas par terre pour qu’une cellule supposée individuelle devienne une cellule à deux places ? Dans une note datée du 3 mars 1988, l’administration pénitentiaire française a défini un mode de calcul de la capacité de chaque établissement en se référant uniquement à la superficie de la cellule individuelle ou collective ou du dortoir selon le barème suivant (Tournier, 2007) : superficie de « moins de 11 m2 »  = 1 place, « 11 à 14 m2  inclus » = 2 places, « 14 à 19 m2 inclus » = 3, « 19 à 24 m2 inclus » = 4, « 24 à 29 m2 inclus » = 5, « 29 à 34 m2  inclus » = 6, « 34 à 39 m2 inclus » = 7, « 39 à 44 m2  inclus »  = 8, « 44 à 49 m2  inclus »  = 9, « 49 à 54 m2 inclus » = 10, « 54 à 64 m2  inclus » = 12, « 64 à 74 m2  inclus » = 14, « 74 à 84 m2 inclus » = 16, « 84 à  94 m2 inclus » = 18, « plus de 94 m2 inclus» = 20 places.

Mais il est évident que la superficie nécessaire à chaque personne détenue pour que les conditions de détention soient acceptables va dépendre du temps que le détenu passe dans cet espace, et donc de l’organisation de la vie dans l’établissement, de l’ensemble de ses équipements (cours de promenade, ateliers, salles pour la formation, équipements sportifs, etc.) et des moyens en personnels des différentes catégories (surveillants, agents de probation, etc.) (Conseil de l’Europe, 2006).

Souvent appelé taux d’occupation - terme ambigu s’il en est car cela peut faire penser à un taux d’activité -, le concept de densité carcérale représente le nombre personnes détenues à la date t, rapporté à la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires.  Généralement exprimé pour 100, c’est un indice de stock. L’évaluation de la densité carcérale au niveau global d’un Etat n’a qu’un sens limité. Une situation globalement satisfaisante, si l’on peut dire (densité = 100), peut, en fait, recouvrir des situations explosives dans tel ou tel établissement masquées par l’existence d’établissements sous-utilisés (inadéquation du parc pénitentiaire aux besoins locaux). Regardons l’exemple d’école suivant :

 

Nombre de détenus

Nombre de places

Densité p. 100

Prison n°1

460

500

  92

Prison n°2

120

80

150

Prison n°3

500

450

111

Prison n°4

700

750

  93

Ensemble

1780

1 780

100

Le calcul de la densité moyenne, obtenue en faisant la moyenne arithmétique des densités par établissement, donne sur cet exemple, une densité de 111 pour 100. Le diagnostic est ainsi déjà moins optimiste que celui donné par la densité globale de  100 (calculée en rapportant le nombre total de détenus au nombre total de places).

Plus généralement, une densité globale inférieure ou égal à 100 et une densité supérieure strictement à 100  ne donnent pas lieu à des interprétations duales. Si la densité est strictement supérieure à 100, c’est qu’il y a au moins un établissement surpeuplé, voire plus. De toute évidence, la situation n’est pas satisfaisante. En revanche, si la densité globale est inférieure ou égale à 100, il se peut qu’il y ait des établissements surpeuplés. On ne peut pas alors se satisfaire de cette information. Il faut en savoir plus et descendre au niveau de chaque établissement.  Le second indice repose sur ce principe.

Le nombre de détenus en surnombre, sur un territoire donné, à un instant donné est un indice essentiel, et souvent mal compris, pour mesurer l’état de la surpopulation carcérale (Tournier, 2007)  Considérons deux établissements pénitentiaires A et B. A la date t, A dispose de 100 places opérationnelles et B de 150 places, soit un total de 250 places.

- 1er cas. A reçoit 120 détenus et B et 180 détenus. Globalement, il y a  300 détenus  pour  250 places, soit un écart de  50. Il y a 20 détenus en surnombre dans A et 30 détenus en surnombre dans B (20 + 30 = 50). Le nombre total de détenus en surnombre correspond bien à l’écart positif)  entre le nombre total de détenus et le nombre total de places.

- 2ème cas. A reçoit 80 détenus et B et 110 détenus.  Globalement, il y a  190 détenus  pour  250 places, soit un écart de  - 60. Il y a 20 places libres dans A et 40  places libres dans B (20 + 40 = 60). Le nombre total de places libres correspond bien à l’écart (négatif)  entre le nombre total de détenus et le nombre total de places.

- 3ème cas. A reçoit 80 détenus et B et 180 détenus. Globalement, il y a 260 détenus  pour  250 places, soit un écart de  + 10. C’est ce que l’on appelle la surpopulation apparente. En réalité, il y a 20 places libres dans A et 30 détenus en surnombre dans B. Soit un nombre global de détenus en surnombre de 30. L’écart, positif, entre le nombre total de détenus et le nombre total de places indique bien un état de surpopulation, mais ne mesure pas le nombre de détenus en surnombre.

Détenus en surnombre =  surpopulation apparente + nombre de places libres (30 = 10 + 20).

- 4ème cas. A reçoit 110 détenus et B 120 détenus. Globalement, il y a 230 détenus  pour  250 places, soit un écart de - 20 (sous-population apparente). En réalité, il y a 10 détenus en surnombre dans A et 30 places libres dans B Soit un nombre global de détenus en surnombre de 10. L’écart, négatif entre le nombre total de détenus et le nombre total de places indique simplement que tous les établissements ne sont pas surpeuplé.

Détenus en surnombre =  surpopulation apparente + nombre de places libres (10 = - 20 + 30).

Voici quelle est la situation de la population détenue en France au 1er avril 2010 (métropole et outre-mer). A cette date on compte 15 % de détenus en surnombre (essentiellement dans les maisons d’arrêt sensées  recevoir les prévenus et les « courtes peines ») :

 

Ensemble

Maisons d’arrêt

Établissements pour peine

Places opérationnelles

56 324

34 063

22 261

Détenus

61 706

41 640

20 066

Surpopulation apparente

5 382

7 577

- 2 195

Places inoccupées (1)

3 913

1 374

2 539

Détenus en surnombre

9 295

8 951

344

% de détenus en surnombre / détenus

15 %

21 %

1,7 %

(1) L’importance du nombre de places inoccupées est, en partie liée à la création de nouveaux établissements dont la mise en service prend un certain temps.

Pour des raisons liées aux problèmes de définition posés par la notion de place en prison et de la complexité des données nécessaires à un diagnostic correct, les comparaisons internationales, dans un tel domaine, ont nécessairement un intérêt limité. Dans la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE) que nous avons mise en place au début des années 1980, on trouve ainsi la densité carcérale (globale)  de chaque  état.  En se limitant  à l’Union européenne, on recense au 1er septembre 2007, 572 000 places  pour 605 000 détenus soit une densité carcérale globale de 106 pour 100 places. Mais cette densité carcérale varie de 70 détenus pour 100 places en Lettonie à plus de 140 en Espagne : Lettonie (70,4 détenus pour 100 places), Slovaquie (77,9), Pays-Bas (80,8), Roumanie (84,5), Lituanie (86,5), Danemark (89,8), Estonie (90,8), Portugal (93,3), Luxembourg (95), Suède (97,5), Royaume-Uni (97,8), République tchèque (98,2), Finlande (101), Autriche (104) Italie (105), Bulgarie (105),  Slovénie (122), Irlande (132), Allemagne (97,1) Chypre (105), Pologne (118), Belgique (119), France (125), Hongrie (132),  Grèce (142), Espagne (143).

Références

  • Conseil de l’Europe, 2000, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance d’André Kuhn, Pierre V. Tournier et Roy Walmsley, coll. Références juridiques, 212 pages.
  • ---, 2006, Les règles pénitentiaires européennes, recommandation Rec (2006) 2, adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006.
  • Tournier, 2007, Dictionnaire de démographie pénale. Des outils pour arpenter le champ pénal, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, données actualisées au 1er mai 2007, 133 pages.
  • http:// histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Tournier/ARPENTER-OUVRAGE.pdf
  • ---,  2008.1, Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, janvier 2008, 114 pages.
  • ---,  2008.2, Quand nécessité fait loi. Alternatives à la détention : faire des mesures et sanctions privatives de liberté l’ultime recours ? Contribution au débat sur le projet de loi pénitentiaire, Université Aix-en-Provence Marseille 3, Colloques « Enjeux et perspectives de la loi pénitentiaire », 27 septembre 2008,  33 pages.
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Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie: http://www.benoitdupont.net

Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque: http://www.social-surveillance.com

CICC: http://www.cicc.umontreal.ca

ISBN: 978-2-922137-30-9