Skip to main content

Policing transnational

 

Le policing peut être défini comme « un ensemble de pratiques qui vise à ordonner les populations humaines qui habitent ou traversent un territoire donné et, simultanément, à garder le contrôle de l’espace et de ceux qui l’occupent » (Sheptycki, 2005: 29) et être ainsi compris comme la somme des mesures visant à assurer l’ordre public et la sécurité des citoyens. Le terme est difficilement traduisible en français, sa traduction littérale de maintien de l’ordre ne recoupant pas complètement ce que sa forme anglo-saxonne suggère. Cette dernière en effet englobe la notion plus générale d’ordre social et considère des acteurs beaucoup plus diversifiés que les seuls représentants des forces de l’ordre au sens étatique du terme (Goldsmith & Sheptycki, 2007).

 

Policing transnational: approche générale

A l’échelle internationale, on peut constater des dynamiques propres à la mise en place d’un policing transnational. L’utilisation de ce terme désigne l’ensemble des activités entreprises au niveau international afin de lutter contre toutes les formes de criminalité transfrontalière (Bowling & Murphy, 2010). En ce sens, la notion de policing transnational est intimement liée à l’élaboration et à l’usage de la terminologie de criminalité transnationale et par conséquent tend à se justifier comme le contrepoids nécessaire à la montée en puissance de ces entreprises criminelles dépassant les frontières étatiques (Nadelmann, 1993). C’est surtout à la fin des années 1980 et à l’orée des années 1990 que la coopération diplomatique, policière et judiciaire européenne et transatlantique prend toute son ampleur autour de cette question de criminalité transnationale et des moyens à mettre en œuvre pour la contrecarrer. C’est en effet au cours de cette période post- guerre froide que les discours sur la menace militaire s’effacent progressivement (mais pas entièrement) au profit de phénomènes plus diffus, tels que les trafics de stupéfiants, d’êtres humains, d’armes, le blanchiment d’argent, les migrations irrégulières, la corruption ou encore le terrorisme (Bigo, 1996). La coopération comme solution devient le maître mot du policing transnational. Cet impératif découle des discours politiques sur ce qui a été qualifiée de ‘mondialisation de l’(in)sécurité’ comme logique d’amalgame entre ces différentes entreprises criminelles (Bigo, 2003). La communauté internationale, au moyen de réunions, de rencontres, de sommets, ou encore de conventions s’est ainsi munie d’une feuille de route s’articulant autour de l’éducation et de l’échange, de l’entraide juridique, de la facilitation des procédures d’extradition, et du renforcement des capacités d'enquête. Une approche préventive a également été adoptée, visant à réduire les marges de manœuvres des individus ou groupes d’individus perpétrant de tels crimes (Sheptycki, 2000 ; Beare, 2003). Ces orientations se retrouvent dans tous les discours et agendas des institutions internationales qui se sont données comme mission de lutter contre la criminalité transnationale au cours de cette période telles que l’Organisation des Nations Unies (ONU), l’Union Européenne (UE) ou encore le G8.

 

S’agissant de l’ONU, l’attention grandissante portée à l’internationalisation de groupes criminels a conduit à développer des instruments multilatéraux afin de faciliter les poursuites au niveau international. Dès 1990, l’Assemblée Générale des Nations Unies a opté pour l’adoption de traités modèles d’extradition et d’assistance légale mutuelle dans les affaires criminelles. La Convention des Nations Unies de 1988 sur le trafic de stupéfiants inclut également des dispositions concernant le blanchiment d’argent. La convention onusienne dite de Palerme contre la criminalité transnationale organisée, élaborée en 2000, demeure aujourd’hui le texte de référence de la communauté internationale en la matière.

 

Au niveau de l’Union Européenne, l’adoption de l’Acte unique en 1987, prévoyant l’abolition des frontières intérieures de la Communauté Européenne et la constitution d’un espace de libre circulation pour les biens et les personnes, a suscité à l’époque de vives réactions de la part de certains professionnels de la sécurité qui redoutaient la création d’une « Europe passoire » aux crimes en tout genre. La nécessité d’accompagner toute ouverture des frontières de mesures corollaires de sécurité a été un discours politiquement efficace dans la préservation de certaines entités professionnelles tels que les douaniers qui appréhendaient la fin de leurs prérogatives. Ainsi, l’espace européen de libre circulation s’est-il accompagné de la mise en place d’instruments de coopération policière et judiciaire au sein des accords de Schengen. L’élaboration d’une politique européenne fondée sur trois piliers distincts en 1999 marquait en outre le développement d’une stratégie dédiée aux enjeux de Justice et Affaires intérieures. Depuis, l’UE n’a cessé de développer et de multiplier les actions et les instruments contre la criminalité transnationale et le terrorisme, et ce jusqu’aux plus récents développements d’une stratégie de sécurité intérieure, adoptée en 2010 dans le cadre du programme de Stockholm. Le G8, quant à lui, a depuis 1995 mis en place de nombreux groupes de travail autour de ces thématiques, rassemblés au sein du Groupe de Lyon/Rome. C’est ainsi que l’on peut parler de la mise en place d’une forme de gouvernance de la sécurité au niveau international.

 

La préparation, la négociation, la discussion de ces textes érigés en normes internationales sont incarnées par des groupes d’acteurs (qualifiés tour à tour de groupes de travail, de groupes d’experts, de focus group, de comité spécial, etc.), plus ou moins formels et connus, qui méritent une attention toute particulière. La mise en place de ces groupes internationaux dévolus aux questions de sécurité n’est certes pas nouvelle (Anderson, 1995 ; Deflem, 2002). Elle ne constitue pas plus une simple réponse mécanique à des menaces qui seraient ‘nouvelles’ et leur nouveauté supposée demeure un objet de débat en sciences sociales (Bigo, 2003). Néanmoins, la configuration géopolitique post-guerre froide, la publicité donnée aux discours politiques d’amalgame des menaces diffuses et transnationales, ont contribué très certainement à offrir un nouveau souffle et une raison d’être à la multiplication de ces groupes, organismes et autres officines internationaux. Les années 1990 ont vu l’intensification de réseaux professionnels et personnels, tant au niveau européen qu’au niveau transatlantique (Nadelmann, 1993 ; Bigo, 1996). En appuyant et en renforçant l’impératif de coopération autour de ces orientations, les discours politiques ont eu en effet des répercussions considérables sur la définition du rôle et des responsabilités de la police, des magistrats, des services d’investigations, mais aussi de la diplomatie. Depuis lors, policiers, magistrats, diplomates, doivent gérer l’internationalisation du monde, et certains analystes vont jusqu’à parler  de l’émergence d’une ‘bureaucratie transnationale’ (Sheptycki 2005).

 

Parmi ces innombrables groupes d’acteurs, certains ont fait l’objet de travaux de recherche et l’analyse de l’internationalisation des activités de policing a donné lieu à d’heuristiques travaux en criminologie, mais aussi en relations internationales et en science politique. Les premiers pas des services d’Interpol (Deflem 2002), les groupes de travail de l’UE (Anderson, 1995 ; Bigo, 1996), les groupes d’experts du G8 (Scherrer, 2009), l’internationalisation de certains services de police (Andreas & Nadelmann, 2006) ont ainsi fait l’objet de nombreuses études offrant une compréhension plus fine de la genèse et des développements de ces acteurs du policing transnational.

 

Échanges, collaborations, coopérations

Les activités de ces groupes d’acteurs se sont d’abord concentrées sur les thématiques suivantes : trafic de stupéfiants, d'armes à feu, crimes liés à l’immigration clandestine, corruption. Les moyens d’actions pour contrer et prévenir ces crimes ont surtout été mobilisés dans ces domaines : lutte contre blanchiment d’argent et la falsification des documents d’identité et de transports, l’échange de renseignements, la coopération judiciaire dans les affaires pénales, la mise en place de structures opérationnelles transfrontalières et la promotion de techniques spéciales d’enquête. Plus récemment sont apparus de nouveaux secteurs de prédilection, liés notamment au renouveau de la lutte contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001 et à la diffusion massive des nouvelles technologies (Dupont, 2003) : le financement du terrorisme, la radicalisation, la protection des infrastructures, le cyberterrorisme/cybercriminalité, mais aussi la protection des enfants contre l'exploitation sexuelle sur Internet, les fraudes et délits économiques, et enfin les crimes environnementaux.

 

Les agents chargés de ces questions sont bien souvent des fonctionnaires issus des services de police, de justice, mais aussi de la diplomatie et des finances. Parmi ces groupes d’acteurs du policing transnational, certains sont professionnellement uniformes (réunions de magistrats pour les groupes spécialisés dans les coopérations judiciaires, ou seulement de policiers pour des aspects plus opérationnels), et d’autres font délibérément intervenir différentes compétences et expertises professionnelles, à l’instar du groupe de Lyon/Rome du G8 spécialisé dans les questions de criminalité et de terrorisme (Scherrer, 2009), tout comme le tout récent «Comité permanent de coopération opérationnelle en matière de sécurité intérieure» (COSI) de l’UE qui regroupe à la fois des acteurs des États membres issus de ministères reconnus compétents et des représentants des agences européennes Europol, Eurojust, et Frontex. Les services diplomatiques ont par ailleurs un rôle souvent central dans l’organisation de ces groupes, dans la négociation des réunions, et dans les processus de centralisation des archives. D’ailleurs, la plupart des gouvernements occidentaux se sont munis, au sein de leurs diplomaties respectives, de pôles ou de départements dédiés aux questions de sécurité internationale.

 

Comme souligné précédemment, ces acteurs du policing transnational travaillent de concert à la facilitation des échanges de savoir-faire (que ce soit en termes d’apprentissage de bonnes pratiques, de knowledge transfer dans les champs d’activité concernés ou de données policières plus confidentielles) et à la mise en place d’accords bilatéraux ou régionaux afin de favoriser, légaliser et d’entériner les formes de coopération et de collaboration.

 

L’échange de bonnes pratiques et de savoirs constitue un aspect très important de ce policing transnational, créant un fond de références et de normes communes au niveau international. Dans le domaine de la justice, il s’agit surtout d’homogénéisation des procédures d’enquête et de poursuite. La mise en place d’instruments uniformisés est ainsi centrale dans l’adoption de traités d’extradition, ou dans les modalités des enquêtes transfrontalières. Les débats anciens sur le mandat d’arrêt européen ou les débats plus actuels sur la mise en place d’un procureur européen sont autant de signes que le policing transnational adopte des contours de plus en en plus formels, au niveau européen, mais aussi par le biais de traités inter-étatiques ou d’accords de principes négociés lors de ces réunions internationales. Dans le domaine de la police stricto sensu, le policing transnational s’organise autour, là encore, de l’échange des expériences et des savoirs et de la mise en commun de la formation, mais aussi des activités de renseignement. C’est l’UE qui offre à ce niveau les exemples les plus aboutis de ces pratiques. Outre la coopération opérationnelle ponctuelle, notamment au cours d’enquêtes transfrontalières, l’UE a mis en place un Collège Européen de Police, le CEPOL, visant à harmoniser les pratiques policières, mais aussi à éduquer les fonctionnaires de police des États membres à l’harmonisation et à l’européanisation de la lutte contre la criminalité et le terrorisme. Souvent critiqué pour son absence de visibilité et pour le manque de transparence de son budget, le CEPOL est néanmoins en passe de devenir, avec l’adoption du programme de Stockholm en 2010, un instrument primordial du policing transnational au niveau européen. L’importance croissante de l’intelligence-led policing est également à prendre en compte dans le travail des services de renseignement au niveau international. Ce type de policing, axé sur la prévention des crimes, et notamment des actes terroristes, s’assimile de plus en plus à de la prédiction basée sur le recueil, la centralisation et/ou l’échange de renseignements.

 

Malgré le caractère moralement contestable de ces mesures, et les inhérentes difficultés juridiques entourant ces notions de prévention/prédiction/préemption, de nombreuses négociations et accords ont été promus et mis en place afin d’organiser ce recueil et ces échanges de données. Au sein de l’UE, cela prend la forme de systèmes d'information formalisés et opérationnels (Système d’Information Schengen – SIS II, Visa Information System – VIS, EURODAC – fichier d’empreintes digitales). Au niveau bilatéral, un exemple qui ne cesse de susciter la polémique, notamment au niveau du Parlement Européen, concerne le transfert aux autorités nord américaines de fichiers des passagers  détenus par les compagnies aériennes (Passenger Name Records - PNR), qui a fait l’objet d’accords successifs entre l’UE et les États-Unis, l’Australie et le Canada. L’absence de transparence entourant l’organisation et les bases légales de cet intelligence-led policing au niveau transnational, et la question de l’interopérabilité des systèmes d’information, n’est en effet pas sans créer de tensions, et ce notamment en raison des différentes atteintes aux libertés individuelles que ces pratiques sous-tendent (Scherrer, Guittet & Bigo, 2010). Les débats ont été ainsi nombreux autour des questions de balance entre liberté et sécurité dans la lutte contre le terrorisme, et autour de mise en place de pratiques d’exception pas, peu, ou mal encadrées du point de vue juridique. Le Traité de Lisbonne (2007) et le programme de Stockholm de l’UE (2010) tentent d’ailleurs de rétablir l’équilibre (en séparant les Directions Générales Justice/Affaires Intérieures et en introduisant la codécision dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, offrant un droit de regard plus conséquent du Parlement Européen), sans toutefois rassurer les défenseurs des libertés individuelles, civiles et des droits de l’homme.

 

Transformations et nouvelles dynamiques

La compréhension et l’analyse du policing transnational constituent des champs d’études ouverts et encore en friches (Goldsmith & Sheptycki, 2007 ; Bowling & Murphy, 2010). Cela tient, en effet, non seulement à la difficulté de recueillir des données sur ceux qui constituent le policing et sur la nature de leurs activités, mais aussi de tenir compte des transformations et reconfigurations permanentes des espaces de production de la sécurité au niveau international. La pluralisation des acteurs, en outre, devient un élément perturbateur du schéma classique de la diplomatie d’État en matière de policing transnational (Scherrer & Dupont, 2010).  Si les fonctionnaires étatiques demeurent le plus souvent centraux dans les groupes d’experts évoqués précédemment, l’ouverture à des acteurs privés complexifie considérablement le tableau général. A ce titre, il convient de citer le Groupe de Lyon/Rome du G8, et la mise en place de partenariats publics/privés dans le cadre de la lutte contre le cybercrime. En effet, ce groupe est à l’origine de l’organisation d’une série de conférences et de réunions visant à établir un dialogue et un partenariat entre les industriels et les États. Ces conférences ont parfois réuni plus de trois cents responsables publics et privés. Parmi eux, des représentants des entreprises de télécommunications, des représentants des entreprises de lecteurs de carte à puces, des opérateurs de certification, des courtiers d'assurance pour sites de commerce électronique, mais aussi des agents de compagnies de voyages en ligne. Il est d’ailleurs particulièrement pertinent de souligner que ces conférences ont fait surgir des débats intéressants autour des thèmes de la «co-régulation» dévolue au secteur public et au secteur privé. Il existe d’autres cas de figure donnant à voir une dissociation de l’autorisation de la sécurité et de sa production, notamment dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent (et l’implication des acteurs des secteurs bancaires et de certaines professions libérales), et le financement du terrorisme (avec la participation de fondations privées).

 

Afin d’analyser la complexité des mécanismes de circulation des savoirs et des pratiques à l’échelle internationale en matière de policing, il existe néanmoins un certain nombre de cadres conceptuels pertinents permettant de s’affranchir d’une lecture simpliste des enjeux. À cet égard, on peut citer les approches en terme de bureaucraties internationales proposées par les tenants de l’analyse criminologique critique (Bowling & Murphy, 2010 ; Deflem, 2002 ; Sheptycki, 2005), les approches sociologiques développées en Relations Internationales autour du concept de champ des professionnels de la sécurité (Bigo, 2007), mais aussi les analyses  en termes de gouvernance nodale (Burris, Drahos & Shearing, 2005). Ces différents points de vue ont en commun de réfuter l’argument fonctionnaliste faisant du policing transnational le revers et la réponse à la criminalité transnationale. Ils offrent des perspectives pour analyser les phénomènes de mobilité de ces acteurs qui voyagent d’un groupe à un autre, d’un continent à l’autre, pour les recenser et les cartographier en tenant compte de leur diversité, positionnements, compétences et ressources mobilisées, mais aussi afin de comprendre leur impact non seulement sur la diffusion de normes et de pratiques anti-criminalité sur la scène internationale mais aussi sur les pratiques de policing au niveau national.

 

Références

  • Anderson M. et al. (1995). Policing the European Union. Oxford: Clarendon Press.
  • Andreas, P. Et Nadelmann E. (2006). Policing the Globe: Criminalization and Crime Control in International Relations. Oxford: Oxford University Press.
  • Beare, M. (2003). Critical reflections on Transnational Organized Crime, Money Laundering and Corruption, Toronto: Toronto University Press
  • Bigo, D. (1996). Polices en réseaux, l’expérience européenne. Paris : Presses de Sciences Po.
  • Bigo, D. (2003). Grands débats dans un petit monde : les débats en Relations Internationales et leur lien avec la sécurité. Cultures & Conflits 19-20 : 7-48.
  • Bigo, D. (Ed.) (2007). The Field of EU Internal Security Agencies. Paris: Harmattan
  • Bowling, B., Murphy, C. (2010). Global Policing. London: Sage.
  • Burris, Scott, Drahos, Peter, Shearing, Clifford (2005). Nodal Governance. Australian Journal of Legal Philosophy 30: 30-58.
  • Deflem, M. (2002). Policing World Society. Historical Foundations of International Police Cooperation. Oxford: Oxford University Press.
  • Dupont, B. (2003). Les morphologies de la sécurité après le 11 septembre : hiérarchies, marché et réseaux. Criminologie 38(2) : 123-155.
  • Goldsmith, A. and Sheptycki, J. (2007) Crafting Transnational Policing; State-Building and Global Policing Reform, Oxford: Hart Law Publishers
  • Nadelmann, E. A. (1993) Cops Across Borders. The Internationalization of US Law Enforcement University Park, PA: Pennsylvania State University Press.
  • Scherrer A. (2009). G8 against Transnational Organised Crime. Farnham : Ashgate
  • Scherrer A., Dupont, B. (2010). Nœuds ou champs ? Analyse de l'expertise internationale sur la criminalité transnationale organisée et le terrorisme. Revue Canadienne de Criminologie et de Justice Pénale, 52, 2 : 147-172  
  • Scherrer A., Guittet E-P., Bigo, D. (2010). Mobilités sous surveillance. Perspectives croisées UE/Canada. Montréal : Athéna.
  • Sheptycki, J. (2005). En quête de police transnationale. Vers une sociologie de la surveillance à l’ère de la globalisation. Bruxelles : De Boeck & Larcier
  • Sheptycki, J. (ed.). (2000). Issues in Transnational Policing. London: Routledge.
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 

Terrorisme

 

Définition

Bien que le terme soit galvaudé, il est tout de même possible de donner une définition du terrorisme qui, bien qu’elle ne soit pas utilisée exactement comme telle par tous les chercheurs, ressemble suffisamment aux multiples définitions courantes pour être généralisée. Il s’agit d’une définition restrictive qui porte sur les stratégies et les actes des terroristes et non sur l’identité ou la personnalité des individus, sur la nature de leurs revendications ou sur les lois applicables, qui seront des aspects éternellement litigieux. Elle comprend 4 éléments essentiels :

1. Violence ou menace de violence. Accepter comme « terrorisme » un acte purement intellectuel ou symbolique réduit notre capacité d’analyser le terrorisme en diluant la définition outre mesure. Une forme d’action physique, ou du moins une menace crédible d’une telle action, doit exister. Bien sûr, le seuil de gravité de cette violence reste subjectif.

2. Présence d’un motif politique. Pour qu’un acte soit un acte terroriste, il faut absolument que son auteur l’ait commis principalement pour déclencher, favoriser, empêcher ou punir une conduite institutionnelle gouvernementale, communautaire ou industrielle. Ceci exclut la vengeance individuelle, l’extorsion, les attaques racistes, toute la criminalité axée vers la production de profits matériels ou financiers et tout acte de violence commis pour assurer la continuité de ces activités.

3. Asymétrie. L’acteur terroriste se trouve dans une position d’extrême déséquilibre de pouvoir face à ses cibles principales. Bien que des États sponsorisent plusieurs individus et groupes s’adonnant à des activités terroristes, le contexte de l’action de chacun de ces groupes reste caractérisé par une asymétrie de pouvoir.

a. Premier corollaire : l’expression « terrorisme d’État », qui identifie un phénomène de première importance, renvoie donc à une forme d’activité, ou un phénomène, de nature différente du terrorisme proprement dit. Il s’agit généralement d’oppression et de répression politique commise par des agents de l’État pour le compte de l’État et avec sa permission explicite ou tacite de le faire (du point de vue de l’agent : cette permission n’est généralement pas du domaine public). On le voit, cette catégorie a historiquement fait plusieurs milliers de fois plus de victimes que le terrorisme ordinaire. Sa logique de fonctionnement est toutefois complètement différente.

b. Second corollaire : la notion d’asymétrie exclue également les activités de groupes de guérilla ou insurgés. Bien que leur puissance soit moindre que celle de l’État dans lequel ils sévissent, elle reste à peu près comparable, surtout dans les territoires qu’ils arrivent à contrôler. Il n’est pas rare que ces groupes commettent des actes de terrorisme, mais il faut éviter d’assimiler toutes leurs activités à du terrorisme.

4. A pour cible immédiate des civils non engagés dans un combat armé. Bien qu’on identifie souvent des troupes irrégulières lancées dans une attaque suicide ou clandestine contre des forces armées militaires ou policières comme « terroristes », il s’agit d’une mauvaise utilisation du terme. Le terrorisme a pour cible immédiate, ou directe (les victimes de violence) et indirecte (l’auditoire qu’on veut impressionner) la population civile dans son ensemble, ou du moins des sous-groupes non individualisés.

a. Premier corollaire : tout acte de terrorisme a pour but, entre autres, la communication. Il peut s’agir de la communication d’un message particulier (il est mal de tester des produits sur des animaux), d’un programme politique (le maoïsme est une organisation politique idéale), de supériorité morale, etc. L’acte terroriste vise surtout un auditoire et beaucoup moins ses victimes immédiates (même dans le cas d’actes particulièrement destructeurs, comme celui du 9/11)

b. Second corollaire : en général, les assassinats politiques ne sont pas des actes terroristes, à moins qu’ils ne fassent partie d’une campagne de violence politique.

Ces 4 éléments de définition restreignent un tant soi peu le champ du terrorisme mais restent très flous. Au-delà, le chercheur doit se pencher sur un phénomène plus précis que « le terrorisme » en général et définir plus spécifiquement le groupe, l’époque, le lieu et les activités qui l’intéressent. Ceci n’est pas particulièrement déstabilisant pour le criminologue, qui sait pertinemment que cette même difficulté de définition existe pour le mot « crime » ...ce qui ne l’empêche pas de faire des recherche sur les homicides conjugaux ou le vol de voitures organisé.

Enfin, un dernier aspect est à souligner, malgré le fait qu’il ne soit probablement pas souhaitable de l’inclure dans les éléments de définition ci-dessus, parce qu’il fait partie davantage du contexte que des actes à définir. Il s’agit du contexte socio-politique dans lequel le terrorisme se déploie. Nos conceptions, ainsi que nos définitions du terrorisme (pas seulement celle fournie ci-dessus) sont fortement influencées par le contexte dans lequel nous les avons formés, c’est-à-dire l’Occident des démocraties libérales modernes et pacifiées. La pertinence du concept s’évapore rapidement lorsqu’on le trempe dans le contexte d’États déchus (Somalie) ou aux prises avec une guerre civile, par exemple (Afghanistan, Irak, Sri Lanka). Ainsi, la comparaison de statistiques internationales du terrorisme doit être faite avec la plus grande prudence.

 

Historique

Bien qu’on puisse retrouver des actes s’apparentant au terrorisme dès l’époque de l’Empire romain, il est douteux qu’une telle généalogie soit réellement utile à celui qui tente de comprendre le phénomène dans sa forme contemporaine. Certains auteurs hésitent même à amalgamer la vague terroriste des années 1960 à celle qui prévaut aujourd’hui, à laquelle il se réfèrent sous le vocable de « nouveau terrorisme ». Cette position set extrême, mais il n’en reste pas moins que les comparaisons entre zélotes, nihilistes et ben ladenistes sont rarement éclairantes.

Par contre, il est non seulement utile mais nécessaire à toute bonne compréhension du phénomène terroriste de le replacer dans une chronologie historique afin de saisir un de ces aspects cruciaux : son évolution dans le temps. À ce chapitre, quelques aspects importants sont à noter. Premièrement, en termes du nombre d’attaques, c’est la décennie 1980 qui est la plus prolifique entre 1950 et 2010. Au Canada, c’est par un facteur de 5 à 10 fois plus pour chaque année. Ce phénomène est le même dans tous les pays occidentaux. Deuxièmement, il semble par contre qu’en moyenne, les attaques aient été plus meurtrières depuis les années 1990. Alors que les terroristes des années 1980 posaient des bombes souvent à portée symbolique, à l’occasion téléphonant à l’avance pour faire évacuer les lieux, ou encore procédaient à des détournements d’avion ou à des attaques à l’arme légère, une série d’attentats très meurtriers a débuté à la mi-1990. C’est le « nouveau terrorisme » que certains auteurs ont cru identifier : plus spectaculaire, moins scrupuleux et plus souvent couronné de succès car souvent commis par des individus prêts à se sacrifier pour la cause.

 

Types de terrorisme

La littérature fait souvent état de « types de terrorisme » mais les typologies peuvent être organisées sous différents critères. Il est possible de distinguer entre terroristes selon la nature de leur but : certains ont des objectifs très spécifiques, comme la protection des animaux, alors que d’autres désirent réformer l’ensemble de la structure politique et économique d’une société. D’autres encore visent la sécession politique d’un territoire associé à un groupe nationale. On peut également distinguer les terroristes selon leur forme d’organisation, des individus aux groupes établis et centralisés, en passant par les structures cellulaires et les réseaux décentralisés. On peut choisir de différencier les niveaux de violence utilisés, selon qu’il s’agisse de destruction de propriété, d’attentats dirigés ou de meurtres de masse. Il est également possible de faire une typologie des méthodes utilisées, qui tendent à une certaine uniformité pour un groupe donné : l’utilisation de bombes traditionnelles (laissées sur place ou envoyées), l’utilisation de bombes livrées par des agents sacrifiés (terrorisme suicide), d’armes légères, de produits toxiques et d’armes à dispersion large (chimique ou bactériologique), etc. Enfin, certains auteurs (Leman-Langlois et Brodeur, 2010) ont également proposé une typologie matricielle fondée sur la chronologie de la justification explicite proposée par les terroristes pour leurs actions et sur l’ampleur du changement qu’ils désirent provoquer.

 

Succès et échecs

Il est souvent question des résultats du terrorisme, pour plusieurs raisons. Premièrement, d’un point de vue rationnel il semble fondamental que le terrorisme fonctionne de temps à autre sinon son l’adoption serait une stratégie perdante avec aucun exemple de succès auquel s’accrocher. D’une manière ou d’une autre, si le terroriste décide d’avoir recours à la violence pour entraîner un processus politique, il doit avoir de bonnes raisons de croire que ses efforts porteront fruit. Deuxièmement, du point de vue de la sécurité du public et des États, la probabilité que des terroristes réussissent à déstabiliser l’État en s’attaquant à ses institutions, la société civile en décimant la population ou la structure économique du pays en paralysant ses infrastructures est bien sûr d’un intérêt particulier. Prenons les trois aspects à tour de rôle.

Déstabiliser un État occidental est non seulement peu probable, mais il n’existe en fait aucun exemple de succès terroriste à cette échelle. Même le Royaume-Uni, au plus fort de la crise de la PIRA, ne risqua jamais d’être déstabilisé; les institutions de l’État restèrent toujours fonctionnelles — bien qu’ayant dû être quelque peu adaptées aux circonstances. Bien sûr, il existe tout de même des exemples de succès : les terroristes sionistes de l’Irgun, par exemple, parvinrent à chasser l’administration britannique de Palestine pour y instaurer Israël, entre autres en faisant exploser le quartier général de la force d’occupation à l’hôtel King David en 1946 (91 morts).

Il y a d’autres formes de « succès » à considérer, surtout si on tient compte de la multiplicité usuelle des objectifs du terroriste moyen. Renverser un régime peut en faire partie, mais d’autres buts s’y marient presque toujours : faire parler de soi, se venger, infliger des pertes à l’occupant, etc. Ainsi, certaines attaques suicides tiennent d’une rationalité différentes et visent surtout à faire du mal à l’ennemi. Ainsi, plusieurs formes de terrorisme s’attaquent directement à la société civile ou à certains de ses composantes ethniques, sociales ou économiques qui sont vues comme responsables d’un tort ou inactives devant une catastrophe qu’elles pourraient soulager. Prendre le citoyen moyen comme cible sert également à tenter de le pousser à faire pression sur ses institutions pour que les désirs du terroriste soient pris en compte. Au total, le bilan est hautement mitigé : tous les actes terroristes qui n’ont d’autre but que d’affecter leur cible immédiate sont toujours des « succès », puisqu’ils n’ont pas de but extérieur. Cependant, ceux qui espèrent mobiliser une population en la prenant pour cible n’ont aucun exemple de succès à offrir. Ou plutôt, lorsque les populations se mobilisent, c’est plutôt contre les terroristes. On doit conclure ce paragraphe par un mot sur l’idée que la mobilisation anti-terroriste puisse justement être le but du terroriste : en demandant et en obtenant un durcissement exagéré des mesures de sécurité, le public se placerait en position de victoire pyrrhique puisque ce durcissement aurait pour résultat la destruction du mode de vie qu’il était censé protéger. Les terroristes se frotteraient donc les mains de satisfaction à la vue des libertés perdues dans les pays occidentaux. Cet argument nous semble difficile à soutenir. D’une part, il procède essentiellement d’une série de déductions subjectives de la part d’observateurs distants. D’autre part, il semble facétieux d’affirmer que le but d’Ossama ben Laden était que les Occidentaux « perdent de leurs libertés », surtout si c’est en se protégeant mieux contre ses attaques. Enfin, c’est le genre d’argument qui parvient à faire de tout résultat un succès : les terroristes réussiront toujours à quelque chose, ce qui est peu utile à l’analyse.

Enfin, la préoccupation de l’heure porte sur la sécurité des infrastructures. Les infrastructures de transport public (aviation, transport ferroviaire, autobus, navires) sont bien sûr des cibles de choix depuis des décennies. Cependant, les autres types d’infrastructure (eau potable, électricité, produits chimiques de base, télécommunications, réseaux financiers, production et distribution de nourriture) ont jusqu’ici très peu été attaqués. Le foyer d’attention est surtout la capacité appréhendée d’effectuer des attaques à partir d’ordinateurs lointains qui parviendraient à paralyser un réseau électrique ou informatique — un « cyberterrorisme » qui jusqu’ici reste surtout limité à des attaques de déni de service (DDoS) contre des sites Internet gouvernementaux ou privés, avec des dégâts mineurs.

 

Avril 2010

Références

  • Chaliand, Gérard (2004), L’histoire du terrorisme, de l’antiquité à Al Qaida, Paris, Bayard.
  • Crenshaw, Martha (1995), Terrorism in Context, Philadelphie, Pennsylvania State University.
  • Équipe de recherche sur le terrorisme et l’antiterrorisme http://www.erta-tcrg.org.
  • Hoffman, Bruce (2006), Inside Terrorism, Revised and Expanded Edition, New York, Columbia University Press.
  • Kepel, Gilles (2003), Jihad, Paris, Gallimard.
  • Laqueur, Walter (2003), No End to War : Terrorism in the Twenty-First Century, New York, Continuum.
  • Leman-Langlois, Stéphane et Jean-Paul Brodeur (2010) « Terrorism Old and New : Counterterrorism in Canada », A Turk, D. Das et J. Ross, Terrorism, Counterterrorism and Internal Wars : Examining International Political Violence, Londres, Routledge.
  • Leman-Langlois, Stéphane et Jean-Paul Brodeur (dir. 2009), Terrorisme et antiterrorisme au Canada, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
  • Marret, Jean-Luc (1997), Les techniques du terrorisme, Paris, PUF.
  • National Commission on Terrorist Attacks Upon the United States (2003), The 9/11 Commission Report, Authorized Edition, New York, Norton.
  • Schmid, Alex et Jongman, Albert (1988), Political Terrorism A New Guide to Actors, Authors, Concepts, Data Bases, Theories and Literature. Revised, Expanded and Updated Edition, New Brunswick (New Jersey), Transaction.
  • Wilkinson, Paul (2000), Terrorism versus Democracy : The Liberal State Response, Londres, Frank Cass.
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 
Mots-clés: 

Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie: http://www.benoitdupont.net

Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque: http://www.social-surveillance.com

CICC: http://www.cicc.umontreal.ca

ISBN: 978-2-922137-30-9