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Ku Klux Klan

Auteur: 
Chabot, Claire

INTRODUCTION

Piedmont, Caroline du Sud, une journée de 1860. La famille Cameron mène une vie riche et paisible dans le grand domaine familial de cette communauté du Sud. La famille Cameron reçoit la visite des Stoneman, une famille Nordiste arrivant de Pittsburgh, en Pennsylvanie. Les deux familles se connaissent bien et ont noué de solides liens d’amitié. Il faut dire que l’aîné de la famille Stoneman est tombé amoureux de Margaret Cameron, la première fille de la famille. Les semaines passent, et la famille Stoneman retourne dans le Nord. Chacun est heureux d’avoir passé un temps en si bonne compagnie, sans compter l’amour grandissant entre Margaret et l’aîné des Stoneman. Mais une guerre éclate entre Nord et Sud. Les garçons des deux familles sont enrôlés dans des armées qui se combattent. Lorsque la guerre se termine, les Noirs du Sud ont gagné leur indépendance. Stoneman père, en bon vainqueur de la guerre, revient à Piedmont, flanqué de son bras droit, un mulâtre nommé Silas Lynch, pour faire appliquer la loi nouvelle, accorder aux Noirs tous les pouvoirs. Enhardis par leur affranchissement, ceux-ci commencent à piller et saccager les maisons et les édifices publics et violenter les femmes du Sud, belles, fragiles et respectables. C’est ce qui arrive à Flora, l’une des filles de la famille Cameron. En tentant de fuir un Noir un peu trop insistant lui demandant sa main, celle-ci meurt en tombant dans un précipice bordant une route de campagne. C’est la faute de trop pour les Blancs du Sud qui, lassés d’assister impuissamment au carnage orchestré par les Noirs, décident d’agir. Ceux-ci constituent ainsi une armée de défense, groupe chevaleresque entendant défendre la cause des Blancs, spoliés de leurs droits et de leurs propriétés, et rétablir un ordre social profondément perturbé par l’immoralité des Noirs. Ils revêtent ainsi robes et cagoules blanches et, montés sur des chevaux, ils entreprennent de venger la pauvre Flora Cameron et de combattre les Noirs, désormais organisés en factions et en milices vindicatives. Ce groupe chevaleresque finit par vaincre les milices Noires et, porté aux nues par la population blanche, finit par obtenir l’annulation du droit de vote des Noirs lors de l’élection suivante.
 
Voici comment Naissance d’une Nation dépeint la fondation du Ku Klux Klan. Réalisé par David Wark Griffith et sorti le 8 février 1915 dans les salles de cinéma, Naissance d’une Nation reste à ce jour, l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma aux États-Unis et rapporte quinze millions de dollars. Interdit par la censure dans plusieurs États et profondément controversé pour la vision raciste et révisionniste qui s’en dégage, le film permet néanmoins de saisir comment le Ku Klux Klan prend fondamentalement racine dans le Sud. C’est que celui-ci possède une culture et un folklore qui n’appartiennent qu’à lui aux États-Unis. Selon cette vision, le Sud est un véritable paradis perdu, où le Bien et le Mal s’affrontent sans cesse (Wilson & Ferris, 1989 ; Botkin, 1949 : xix). C’est le pays où il fait bon vivre, où les légendes se mêlent étroitement à la réalité, où le passé côtoie le présent et où la galanterie est érigée en art de vivre (Botkin, 1949 : xx). Mais c’est aussi le pays d’un folklore qui ne s’est jamais complètement défait d’une société antebellum, de son économie de plantations et, dès lors, de sa culture profondément esclavagiste. C’est au sein de ce folklore vivace qu’il faut comprendre et situer l’émergence du Ku Klux Klan aux États-Unis. Le Klan est à ce point relié à sa culture d’origine qu’on ne saurait faire l’économie du cadre culturel et historique dans lequel il prend sa source.
 
C’est sur la base de ce cadre que le présent article propose une analyse du Ku Klux Klan sous l’angle des théories de la réaction sociale. Cette recherche se pose deux questions principales, par ailleurs reliées entre elles. Il s’agit de comprendre comment, d’une part, le Ku Klux Klan a pu être, à un moment donné de son histoire, une véritable institution de la réaction sociale puis, d’autre part, comment ce même Klan a survécu à la disparition du contexte social qui légitimait auparavant son existence. En d’autres termes, ce travail propose de comprendre comment le Klan, en passant d’une forme particulière de contrôle social, s’est adapté aux transformations sociales pour rester présent encore aujourd’hui.
Pour répondre à ces questions, l’analyse développée propose dans un premier point de resituer le Klan dans son contexte historique. Il faut ainsi prendre en compte la période de la Reconstruction, qui suit immédiatement la fin de la Guerre de Sécession, afin d’éclairer les causes ayant favorisé la fondation du Klan dans le Sud. Sur cette base, l’analyse aborde ensuite la façon dont le Ku Klux Klan a opéré une forme de réaction sociale coercitive dans le Sud américain à partir de la Reconstruction jusqu’à la fin de la ségrégation, dans les années 1960.
 
Le second point de l’analyse propose de comprendre les transformations opérées par le Klan pour survivre à la disparition de son cadre social légitimant, à partir de la fin de la ségrégation jusqu’à nos jours. En se posant comme le défenseur des Blancs laissés-pour-compte et du retour à une société traditionnelle, le Klan se pose ainsi également comme le défenseur du concept d’« Homme blanc en colère », s’insérant lui-même dans la perspective dite du « Backlash ».

 

I – Le Klan dans son contexte : jalons historiques fondamentaux.

A – Acte 1. La Reconstruction et les années d’après-guerre : le Sud, grand perdant de la Guerre de Sécession.

Le 9 avril 1865, le général Robert E. Lee, général en chef de l’armée confédérée, signe la reddition de la Confédération au général Grant, commandant des armées du Nord, au terme de quatre années de combats. Cette guerre civile s’avère, telle qu’elle est ainsi appelée, une guerre de sécession. C’est que les États confédérés n’ont jamais voulu se soumettre au président Lincoln et à son projet d’abolir l’esclavage, institution centrale du Sud puisque garante fondamentale d’un ordre social et économique qui se veut immuable.
 
Le pays sort décimé de cette guerre, et en particulier le Sud. 630 000 soldats et civils meurent au combat, dont 270 000 sudistes (et 400 000 blessés). En quatre ans, le Sud a perdu un cinquième de sa population active (Barreyre & Schor, 2009 : 18 ; Fath, 2004 : 56). Grand perdant de la guerre, le Sud rentre, après sa défaite, dans la période dite de la Reconstruction. Orchestrée par le Nord, ladite Reconstruction désigne un ensemble de mesures censées à la fois permettre au Sud de se relever de la Guerre mais également d’appliquer sans objections la loi martiale et, surtout, le programme abolitionniste du Nord (Ayers, 1992). Ainsi, le treizième Amendement à la Constitution américaine rend l’esclavage illégal sur l’ensemble du territoire. Le quatorzième garantit la protection de tous les citoyens devant la loi, et le quinzième interdit toute forme de discrimination raciale dans l’accès au vote (Roger, 2004 : 34-35). Par ailleurs, le Civil Rights Act de 1866 reconnaît officiellement les esclaves nouvellement affranchis comme des citoyens à part entière et faisant de cette citoyenneté, dès lors de droit, un fondamental sous protection de la loi fédérale.
 
L’abolition de l’esclavage est vécue par le Sud comme une véritable catastrophe. Sur une région qui compte 10 millions d’habitants, la libération soudaine de quatre millions d’individus entraîne dans la région, déjà fortement appauvrie par la guerre, une situation économique d’autant plus désastreuse que tout le système de production sudiste reposait sur cette main-d’œuvre bon marché, pour ne pas dire gratuite (Barreyre & Schor, 2009 : 21 ; Fath, 2004 : 50 ; Dessens & Dussol, 2009). Avec l’abolition de l’esclavage, le Sud assiste par ailleurs à l’effondrement de tout un système social profondément inégalitaire qui justifiait la servitude des Noirs par leur incapacité à s’éduquer eux-mêmes (Foner, 1988). C’est que, d’après une interprétation spécifique de la Bible, les Noirs étaient considérés comme des descendants directs de Cham et, dans cette optique, comme des êtres inférieurs (Fath, 2004 : 54).
 
Si les Noirs font l’expérience de la liberté pendant un temps, celui-ci est de courte durée. Car c’est dès lors en réaction à l’imposition de lois jugées contraires à ses valeurs que les États du Sud entendent multiplier autant de lois et de mesures qui parviendront à maintenir la population noire sous le joug des Blancs, coûte que coûte et le plus longtemps possible. Le 16 janvier 1865, le général William T. Sherman émet l’ordre opérationnel n°15. Egalement surnommé « Quarante acres et une mule », cet ordre prévoit d’accorder aux Noirs un territoire de 50 kilomètres de large entre la Caroline du Sud et la Floride. Cette décision est invalidée le président Andrew Johnson quelques mois plus tard (Barreyre & Schor, 2009 : 22).
 
Car, justement, la Reconstruction ne dure pas. A partir des années 1890 le gouvernement fédéral, pour en finir avec les querelles Nord/Sud et pour permettre une meilleure unité du pays, autorise les États du Sud à réguler comme ils l’entendent le cadre juridique des relations entre Blancs et Noirs. En 1896, l’arrêt Plessy c/Ferguson autorise légalement l’existence des lois discriminatoires fixées par le Sud (Barreyre & Schor, 2009 : 46). Dès lors, les États du Sud adoptent les Black Codes et les Jim Crow Laws. Le 30 novembre 1865, la plupart des États du Sud adoptent une mesure obligeant tous les Noirs à posséder un contrat de travail le premier jour de chaque année. Dans le cas contraire, chaque Noir sans emploi se voit imposé un travail chez un Blanc. Une autre mesure interdit aux Noirs de posséder des terrains en ville, les obligeant à acquérir des terres dans les zones périphériques et éloignées (Barreyre & Schor, 2009 : 26). Par ailleurs, la clause dite du « Grand-Père » autorise les citoyens à voter seulement si leur propre grand-père avait le droit de vote en 1861. En d’autres termes, puisque les Noirs étaient esclaves cette année-là, le droit de vote leur est donc automatiquement supprimé. Par ailleurs, ces mesures imposent également que tout mariage entre un Noir et un Blanc dont le sang comporte plus d’un seizième de sang noir devient automatiquement nul (Fath, 2004 : 79).
 
C’est donc dans le contexte d’une Reconstruction manquée et d’une victoire morale du Sud sur le Nord en son territoire qu’apparaît, aux lendemains de la défaite, le Ku Klux Klan.
 
 

B – Acte 2. Une raison d’exister : Le Klan, de 1866 à 1967.

Pulaski, Tennessee, dans la nuit du 6 mai 1866. Six anciens soldats démobilisés de l’armée confédérée se réunissent dans une bâtisse abandonnée par son propriétaire. Ces hommes se réunissent dans l’optique de fonder une société secrète basée sur le modèle des fraternités étudiantes et de la franc-maçonnerie afin de resserrer les liens entre anciens frères d’armes. Ils décident d’adopter un nom qui doit être facilement identifiable et repérable. Pour ajouter une pincée d’ésotérisme à leur société secrète, les six anciens soldats adoptent le terme grec « Kuklos » (« cercle »), le scindent en deux, ajoutent un « X » à la fin du deuxième mot et terminent par le mot « Clan », rapidement écrit avec un « K » pour rajouter à l’esthétisme du nom. Le « Ku Klux Klan » nouvellement formé a ainsi pour objectif de permettre à ses membres de s’amuser et de passer le temps, dans un Sud écrasé par la défaite et les cataclysmes économiques. Le groupe organise une première sortie dans les rues de Pulaski et décident de parader, déguisés en robes et cagoules, pour effrayer les habitants de la ville (Ameur, 2009). Rapidement, les facéties opérées par le groupe se dirigent vers la population noire, effrayée par ce qu’elle pense être les fantômes d’anciens soldats confédérés. L’enthousiasme gagne les habitants d’États voisins, où plusieurs d’entre eux se rassemblent en factions similaires. Dès lors, loin de se contenter d’effrayer les Noirs, le groupe originel et ses copies voisines recourent plus directement à la brutalité physique : le Klan a compris comment maintenir les Noirs à leur place par des actions d’intimidation (Ameur, 2009 : 16-17).
 
Avec la nomination de Nathan Bedford Forrest en 1867 à la tête du Klan, celui-ci devient une organisation paramilitaire censée maintenir la suprématie de la race blanche dans le Sud. Forrest écrit et fait adopter une déclaration officielle du Klan qui se définit ainsi comme « une institution chevaleresque, humanitaire, miséricordieuse et patriotique ». (Ameur, 2009 : 29). Forrest se doute toutefois que les troupes fédérales interdiront bientôt le Klan. Il choisit donc de dissoudre lui-même celui-ci en 1869. Cette clandestinité plus ou moins assumée ne diminue en rien les exactions du Klan, mais a pour seul changement un agissement dans l’ombre, largement soutenu par les politiques locales.
 
Bedford avait vu juste. A partir des années 1870, les troupes fédérales américaines commencent à enquêter sur les actions et les membres du Klan. Ces mêmes troupes arrêtent plus de quatre mille membres affiliés au Klan dans plusieurs États du Sud et les confient à la Justice locale. Dans la plupart des cas, celle-ci ne trouve pas de preuves contre les membres ou les sympathisants et les relâche. Les quelques condamnés seront par ailleurs tous amnistiés en 1875 (Ameur, 2009 : 43-44).
 
La dissolution du Klan ne dure pas. Le jeudi 25 novembre 1915 sur la Stone Mountain près d’Atlanta, en Géorgie, William Joseph Simmons, un notable local, réunit quelques hommes et embrase une croix. Simmons entend non pas faire renaître le Klan puisque celui-ci n’a pas disparu, mais lui redonner une nouvelle légitimité, cette fois-ci à nouveau officielle (MacLean, 1995). L’idée séduit tant qu’elle dépasse les frontières de la seule Géorgie. En 1922 : le Klan compte un million de membres (Ameur, 2009 : 66). S’ensuivent, dans les décennies suivantes, un enchaînement de violences qui seront excusées par la Justice du Sud de façon quasi-systématique. En juillet 1946 dans le Mississippi, les deux meurtriers d’un Noir sont acquittés par un jury entièrement Blanc. En mai 1961, le chef de la police de Birmingham, Alabama, autorise les membres du Klan à faire feu sur un car de militants pour la liberté de l’individu (Ameur, 2009 : 101). Le 2 juillet 1964, le président Lyndon Johnson signe le Civil Rights Act puis, en 1965, le Voting Rights Act, qui garantissent le droit de vote et l’égalité actée des Noirs. S’ensuit un véritable déchaînement de violence par le Klan. Dans les mois qui suivent, la faction du Klan située dans le Mississippi commet « 35 fusillades, 80 passages à tabac et 68 plastiquages de bâtiments, dont 37 églises fréquentées par des Noirs. Le 20 juin 1964, des membres du même groupe exécutent 3 militants des droits civiques. » (Ameur, 2009 : 107).
 
Le Ku Klux Klan, souvent envisagé par le sens commun comme un groupe terroriste et sans loi qui les gouverne, agit en réalité depuis la Reconstruction jusqu’à la fin de la ségrégation comme le bras droit encagoulé des politiques sudistes (McVeigh, 2009). L’affranchissement des esclaves perturbe un ordre social pensé par et pour les Blancs, et le Klan entend dès lors se poser comme un pendant de la Justice et des gouvernements locaux pour maintenir une société par essence suprématiste, quand bien même faudrait-il en recourir à la violence et au meurtre (Sims, 1996). Le Klan se dote ainsi du sobriquet d’« Empire Invisible », groupe paramilitaire concourant non seulement au maintien de la suprématie blanche, mais également au bon fonctionnement des lois ségrégationnistes imposées par la gouvernance sudiste (Wade, 1987).
 
Par l’imposition de la terreur, le Klan agit ainsi en tant que pendant net d’institutions de la réaction sociale plus officielles en concourant à appuyer une politique fondamentalement raciste. Dans cette optique, il faut ainsi envisager le Klan de cette époque comme un groupe trouvant la justification même de son existence et de ses actions dans une vision de la société partagée par le Sud tout entier. Ipso facto, le Klan agit, de la Reconstruction jusqu’à la fin de la ségrégation, comme le garant d’un ordre social et moral accepté et revendiqué par le Sud, qui voit en lui non pas tant un instrument de la violence que le moyen de conserver à tout prix les valeurs d’une société antebellum (Lester, 1884). Ainsi, pour les membres du Klan, les États-Unis sont une nation fondée « par et pour la race blanche » (Ameur, 2009 : 29) et accorder la même chose aux Noirs constituerait « une violation caractérisée de la Constitution et de la volonté divine » (Ibid.)
 
Pourtant, le Ku Klux Klan finit par faiblir. La fin actée de la ségrégation par Johnson et la signature des actes des droits civiques marquent le tournant par lequel le Klan, fin de la ségrégation oblige, ne trouve plus de raison d’être fondamentale. En pleines années 1960, les États-Unis ont emprunté, même timidement, la voie inexorable du progrès social. Même dans le Sud, la population s’est habituée – ou résignée – à l’idée d’égalité entre Blancs et Noirs. La nation se lasse des actions de brutalité répétées du Klan, qui finit par être perçu comme un groupuscule proche du terrorisme. Le Klan ne séduit plus autant qu’avant. Les droits civiques et la signature des actes qui en découlent rentrent dans les mœurs américaines qui, à la fin des années 1960, vouent désormais le Klan aux gémonies. Le Klan achève de perdre en crédibilité avec la création, en 1965, d’une commission d’enquête sur le Klan, dont les actes brutaux deviennent officiellement interdits quelques mois plus tard.
 
Il s’ensuivrait donc, en tant que conclusion logique, une disparition totale et complète du Klan, à la fois désavoué et entré dans l’illégalité. Pourtant, le Klan réussit à ne pas se perdre mais à se transformer pour s’adapter in fine aux à la société américaine contemporaine, trouvant de nouvelles justifications plus consensuelles à la continuité de son existence.
 

II – S’adapter pour survivre à partir des années 1960 : le Ku Klux Klan, symbole des valeurs américaines.

A – Renouveau du Klan.

A partir de la fin des années 1960, les États-Unis font face à une série de crises qui minent l’ensemble de sa société : guerre du Vietnam, conflit contre Cuba et Fidel Castro, renversement du Shah d’Iran, crise du Watergate et deux chocs pétroliers viennent profondément perturber le fonctionnement social américain. C’est dans ce contexte que le Ku Klux Klan refait surface (Ameur, 2009 : 124). Celui-ci doit maintenant rayer de ses principes des revendications ouvertement racistes et violentes qui ne séduisent plus l’opinion américaine. Celui-ci fait peau neuve en ancrant ses nouveaux combats au cœur des problématiques des américains blancs de manière générale, et en particulier de ceux qui se sentent délaissés par la société américaine.
 
Dans le contexte d’une profonde crise des valeurs américaines, le Klan trouve ainsi le moyen pour se faire de nouveau entendre. Beaucoup d’Américains, acculés par une flambée de la criminalité et de l’immigration, ne se retrouvent plus dans la politique fédérale qu’ils jugent non seulement éloignée de leurs préoccupations, mais également contre leurs intérêts de classe. Le Klan se positionne dès lors comme l’un des principaux revendicateurs d’un retour aux valeurs profondes de l’Amérique (Ameur, 2009 ; Martin, 1989, Wade, 1987). Son discours s’adresse ainsi principalement à la classe moyenne et inférieure blanche, les deux classes les plus touchées par les transformations radicales de la société. Dans cette optique, le Klan contemporain entend défendre les Blancs pauvres qui se sentent dépossédés de leurs valeurs américaines. Le Klan défend donc ouvertement le droit de porter des armes, la peine de mort ou l’autonomie des États pour réguler leurs propres politiques (Ameur, 2009 : 148).
 
Ce discours séduit un nombre croissant d’Américains. A partir des années 1970, le Klan voit à nouveau ses effectifs gonfler[1]. Il se compose désormais de Blancs petits employés, ouvriers ou sans emploi, voyant dans leur adhésion au Klan une façon de gravir symboliquement un échelon social (Ameur, 2009 : 67 ; Randel, 1996 ; Horowitz, 1999).

 

B – L’enjeu principal : défendre les petits Blancs.

Le discours valorisant et conservateur du Klan trouve un écho particulièrement fécond chez une population de Blancs marginalisée par les crises économiques et l’impact du chômage. Ces hommes blancs se perçoivent comme les laissés-pour-compte d’une société dont l’expansion se poursuit sans eux. En découle une animosité féroce envers, non plus seulement les Noirs, mais une population d’immigrés en général, qu’ils considèrent responsables de leurs maux. (Fath, 2004 : 16-17).
 
Aux États-Unis, ces Blancs marginalisés ont un nom : les white trash[2]. Et « La locution poor white trash ne désigne pas tant un statut social qu’une catégorie morale. C’est l’étiage symbolique auquel on ne veut pas déchoir, la personnification honteuse des échecs impensables d’une population « racialement » destinée à prospérer. » (Laurent, 2011 : 8). Pour la culture américaine, le white trash est le reflet d’une anomalie presque historique, d’une honte de classe et de race que la bourgeoisie américaine blanche pointe du doigt pour en souligner la dégénérescence sociale (Laurent, 2011 ; McCarter, 2005 ; Newitz & Wray[3]). Le white trash est ainsi perçu comme une incongruité morale qui ne peut s’insérer dans aucune catégorie sociale et qui n’appartient qu’à elle seule.
 
Le terreau contemporain du Ku Klux Klan s’appuie presque entièrement sur cette catégorie de population. L’idée n’est plus d’attiser une haine spécifique des Noirs, mais bien plutôt d’exacerber une colère déjà bien nourrie envers tout ce qui est supposé être responsable des maux de ces Blancs désœuvrés (Ameur, 2009). Le white trash est donc un homme en colère et, à plus forte raison, un homme blanc en colère.
 
C’est là la thèse de Michael Kimmel. En tentant de comprendre pourquoi les hommes blancs Américains nourrissent une telle colère, Kimmel souligne que ladite colère, souvent nourrie chez les suprématistes Blancs, découle bien souvent des inégalités économiques américaines criantes, d’une mobilité bloquée vers le bas, et de processus égalitaires raciaux apparaissant comme insupportables. Élevé et éduqué dans l’idée d’obtenir des privilèges réservés aux Blancs, l’homme blanc marginalisé souffre de ce que Kimmel nomme un sentiment de « droit lésé », soit le sentiment que ce qui lui est dû ne lui est pas attribué (Kimmel, 2015). L’adhérent au Klan contemporain souffre d’un mal similaire. Dans un essai paru en 1983, Louis Beam Jr., alors Grand Dragon du Texas[4] explique la même colère. Tout le pamphlet est traversé, de part en part, par une perception haineuse et frustrée de droits retirés aux Blancs au profit d’une population d’immigrés, de Noirs et de Juifs, supposés s’approprier les privilèges, le travail et les femmes des Blancs (Beam Jr., 1983).
 
Dans cette logique, le Ku Klux Klan moderne devient non symbole d’une résistance blanche marginalisée, mais également un repère moral et social pour ses adhérents qui voient en lui une stratégie d’intégration sociale compensatoire (Ameur, 2009). La survivance des rites et de l’arsenal ésotérique, si elle est un moyen de réaffirmation des valeurs ancestrales du Sud, est également le moyen pour ses membres de communier autour de symboles fédérateurs. Avec la même force que lors de la Reconstruction ou lors de la ségrégation, l’ésotérisme et le secret entourant les rites du Ku Klux Klan sont restés vivaces (Sims, 1996). Chaque événement marquant s’accompagne de la cérémonie d’embrasement de la croix, autour de laquelle viennent prier les fidèles au Klan, recouverts de leurs robes et de leurs cagoules. Encore aujourd’hui, le Klan utilise un vocabulaire spécifique, créé aux lendemains de la Guerre de Sécession par Nathan Bedford Forrest, celui-là même qui a doté le Klan de sa première Constitution.
 
Ainsi, le Klansman désigne l’adhérent de base au Klan, le Grand Dragon désigne le représentant d’un État, ou le Grand Sorcier est le chef suprême du Klan. Les comptes de chaque cellule du Klan sont gérés par un trésorier nommé le Klabee, ses membres sont recrutés par le Kleagle. Chaque cellule est également gérée par un secrétaire, le Kligrapp et chaque groupe organise des réunions, les Klonvocations, au cours desquelles est réaffirmée la foi dans la déclaration fondatrice du Klan, le Kloran, écrit en 1867 par Forrest. Une initiation s’organise toujours autour de la consécration du nouvel adhérent qui, les yeux bandés, est mené vers la croix de bois destinée à être enflammée de sa main (Ameur, 2009 ; Sims, 1996 ; Horowitz, 1999).
 
Le Ku Klux Klan moderne ne s’organise plus autour de la perpétration de violences physiques en elles-mêmes. La violence orchestrée par ses membres est devenue une violence symbolique, témoignage d’une rébellion et d’une résistance contre un système dominant duquel les Blancs pauvres se sentent fondamentalement exclus. Cette violence prend la forme de discours et d’écrits virulents contre le dit système et, bien évidemment, contre les populations de couleur qui s’arrogent tout ce qu’un Blanc serait supposé posséder.
 
Derrière un tel positionnement, le Ku Klux Klan contemporain se place donc en rupture marquée avec un système politique et social qui dessert ses ambitions et celles de ses membres. C’est pour cette raison que le Klan, comme d’ailleurs depuis son apparition, est fondamentalement conservateur. Autrefois gage d’élévation sociale et de privilèges, le conservatisme américain est devenu le marqueur et le symbole de toute une classe moyenne et pauvre blanche désespérée de retrouver des conditions de vie acceptables (Frank, 2004).
 
Le Ku Klux Klan contemporain n’est donc plus tant en lutte contre les Noirs que contre un système qui prendrait aux Blancs pour donner aux autres. Toute la thèse du « Backlash » se retrouve derrière ce positionnement radical. Le Klan ne dirige plus sa colère contre la seule égalité raciale. Son combat s’est modifié à la mesure des transformations sociales. Le Klan fait aujourd’hui sien un discours populiste de classe en butte pour retrouver un privilège perdu, qui découle de la déségrégation, mais également de la désindustrialisation et des récessions économiques qui ont traversé le pays (Durr, 2003).
 
L’adhérent contemporain au Klan est celui qui a le sentiment d’avoir perdu sa propre estime et une ligne directrice à son existence. Adhérer au Ku Klux Klan n’implique plus tant une haine des Noirs et un désir de retour à la ségrégation de l’ancien temps, mais bien plutôt une rébellion contre les conséquences de la déségrégation, soit l’abrogation d’un système de privilèges censés revenir de droit à l’homme blanc Américain (Faludi, 1999), en butte contre un multiculturalisme qui efface progressivement toute possibilité pour les Blancs de recouvrer des privilèges perdus (Hewitt, 2005).

 

 
CONCLUSION
En 1915, Naissance d’une Nation remporte un succès écrasant dans les salles de cinéma. Rapportant quinze millions de dollars l’année de sa sortie, il en totalise plus de cinquante millions à la fin du siècle. Ouvertement raciste, ségrégationniste et révisionniste, le film est un succès autant qu’un tollé. C’est qu’il exprime toute la vision sudiste du Ku Klux Klan, qui voit en lui le bras armé de la réaction sociale orchestrée par la politique locale durant la Reconstruction et les années de la ségrégation. Comment ne pas voir dans le Klan un organe exécutif d’une politique suprématiste ? Durant toute la période de l’après-guerre jusqu’à la fin de la ségrégation, le Klan trouve la justification de son existence dans le Sud américain en ce qu’il représente tout l’idéal perdu d’un Sud vaincu et ravagé par la guerre.
 
De lynchages en plastiquages, d’acquittements en amnisties, le Klan fonctionne comme le pendant légitime d’institutions sudistes de la réaction sociale en lutte pour le maintien d’une société fondée par et pour les Blancs. Avec la disparition de tout le socle ségrégationniste au sein duquel il s’épanouissait, le Klan n’a pas pour autant disparu. Celui-ci a accompagné les transformations de la société américaine en adaptant ses revendications et sa colère aux problèmes de la classe moyenne et inférieure blanche américaine, ballottée entre les crises économiques, la désindustrialisation, les crises politiques qui ont jalonné son histoire contemporaine, et l’immigration qu’elle tient pour large responsable de ses maux.
 
Le Ku Klux Klan d’aujourd’hui se nourrit de ces derniers pour proposer un discours dont la haine se généralise à tous les pans de la société qu’il juge coupable de s’arroger les privilèges de l’homme blanc. Celui-ci devient un homme blanc en colère et perdu au sein d’un système au sein duquel il ne se retrouve plus et en face duquel le Klan devient un repère structurant lui offrant l’occasion de retrouver le reflet de ce qui fut hier un système où les privilèges lui revenaient de droit.
Gageons que le Ku Klux Klan, loin de disparaître, continuera de surfer sur les crises émaillant les États-Unis pour adapter un discours qui, au fond, ne fait que passer d’une haine à une autre.

 



[1] Il reste néanmoins difficile d’évaluer une valeur précise des adhérents du Ku Klux Klan aujourd’hui. Passé dans une clandestinité partielle, les différentes cellules du Klan ne communiquent pas le nombre de leurs militants. Il existe quelques données estimatoires mais dont la source et la fiabilité restent à démontrer. En l’absence d’informations réellement fiables en la matière, en s’abstiendra de communiquer des chiffres qui seraient susceptibles d’être erronés.
[2] Ce terme, difficilement traduisible littéralement en français, peut être envisagé sous le terme de « rebus blanc ».
[3] La date de publication de cet écrit ainsi que la revue dans laquelle il est paru ont été impossibles à identifier.
[4] Le terme de « Grand Dragon » désigne, dans le jardon du Klan, le représentant d’un État.
 

  • Ameur F. [2009], Le Ku Klux Klan, Paris, Larousse.
  • Ayers E. [1992], The Promise of the New South. Life After Reconstruction, Oxford, Oxford University Press.
  • Barreyre N. & Schor P. [2009], De l’émancipation à la ségrégation : le Sud des Etats-Unis après la guerre de Sécession (1865-1896), Paris, PUF, CNED, série « Anglais ».
  • Beam Jr. L.R. [1983], Essays by a Klansman, Hayden Lake, A.K.I.A. Publications.
  • Botkin B.A. [1976 ;1949], A Treasury of Southern Folklore. The Stories, Legends, Tall Tales, Traditions, Ballads and Songs of the People of the South, New York, Crown Publishers, Inc.
  • Dessens N. & Dussol V. [2009], « Sud(s), Reconstructions », Revue française d’études américaines, 2(120) : 3-7,
  • Durr K.D. [2003], Behind the Backlash. White-Working Class Politics in Baltimore, 1940-1980, Chapel Hill, University of North Carolina Press.
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Police métier

 

Article en voie de traduction

There is an endlessly elastic sociopolitical context within which policing operates. This elasticity results in shifting targets, deployment of resources, and new rhetoric that shapes the mandate over time through the stabilizing medium of the police métier. The police métier is a window into the ways in which policing shapes1 the social order in which it is located. This métier contrasts with how policing manages the mandate publicly. Rather, the police métier captures the show occurring backstage, characterized by occupational assumptions and practices focused around and reflexively shaping the incident.

Assumptions are made, as in any occupation, about the politics of the field, the etiquette of treating citizens, mistakes at work, and routines and performances required of the practitioners. This is the assumptive world in which the occupation operates. There is an assumed practical model or logic in action that informs choices made in line with these assumptions. These assumptions and connections are taken for granted as being in the nature of the work and how it is to be carried out. Police practices are verified with reference to the several compatible assumptions that produce them. The assumptions about policing are the context within which practices have a life and a social reality. They reflect the value of the assumptions, and the assumptions are the context within which the practices are lodged. They are mutually supportive and are logical and methodical.

  • The police assume they know local areas, people, buildings, places, and their dynamics.
  • The structural features of places, neighborhoods, corners, and niches, “pockets of crime,” as St. Jean (2007) terms them, are largely immutable.
  • The people found in problematic areas are incorrigible. If they are drug dealers, they are “always dirty” (Moskos 2008, 83) and have no rights because they have forfeited them (ibid., 43–45) and can always be arrested (ibid., 49).
  • Long-term “prevention,” “problem solving,” or efforts to change the contours of such neighborhoods have no purchase on shaping policing reality.
  • Disorder can be altered superficially by local and personalized “treatments” and pragmatic, order-based policing.
  • It is only possible to disrupt, briefly deter, and make the occasional arrest as needed to maintain the essential authority of the officer.
  • Policing is differential by targets, time, place, and persons.
  • Policing should be personalized in the sense that officers identify with their district or beat.
  • While it is democratic in the sense of being responsive, policing in local areas, or neighborhoods, is shaped by ethnicity, class, time of day, and the political context. There is little one can do to change the economy, schools, family life, or religious values; these rarely change.

The Incident Focus

Domestic everyday policing is grounded in what might be called the cynosure of the incident (see Manning 2008, 81–82). Here, the métier is displayed.

In the police world, the incident is a microcosm of sensible, thoughtful, rational individualistic choices. It is the sacred center of policing. The idealized concept of the police officer transcends the actual officer in everyday practice. The officer is idealized as exceptional—he or she stands apart from malice, emotion, prejudice, or distorted perceptions. The sacred status attributed to the officer is complemented in law by the “reasonable man” legal standard. To call actions within an incident sacred is to reaffirm the nature of these social facts — they are obdurate, external, and constraining. Incidents involving corruption, violence, or showing personal everyday flaws such as anger, exultation, or depression are seen as rare by the media and the police and fall under the category of “rotten apples” and exceptions that prove the overall integrity of the police as a body.

The incident is framed or viewed organizationally exclusively as the officer at the scene describes it unless otherwise known. As Moskos writes, “The chain of command is a myth. A sergeant cannot be in active command of five units simultaneously (2008, 112). Moskos captures the “you had to be there” rule: “While an officer may believe that another officer handles certain situations differently, the idea that officers should be allowed to make their own decisions is never in question. If these decisions are wrong, then the officers will face the legal, departmental or physical consequences” (ibid., 112–13). What is left unsaid here, but revealed by the notion of absent supervision, creative writing, management of calls for service, and stops to avoid “trouble,” is the rarity of actual information that might be seen as showing an officer was “wrong” in his or her decisions. “Otherwise known” refers to review later by supervisors, captured by the media or a citizen’s camera, witnessed by third parties with an interest in the outcome, or observed as a result of the officer’s request for advice or backup. Given that the theatrical core of policing is thought to be patrol work, the incident is seen in the context of responsiveness to citizen demand for order and showing activity to supervisors, but it is virtually always a low-visibility matter seen metaphorically through the eyes of the officer.

The Métier’s Sustaining Practices

The first shaping force is the authoritative patterning of relationships called the organization. There is an abiding sense in which the work of the police is structured, that is institutionalized, routinized, unquestioned, done as if there was no other way to do it, taken for granted as to its effectiveness, purposes, and means. These constraints, social facts, make everyday work possible. They are valued up and down the hierarchy of the organization and in that sense are the deep structures that sustain meaning. The basic foundational assumption is that this organizing is functional and rational. The organization is designed to allocate officers to randomly patrol, mostly by automobile, to react and respond to calls, and to investigate “founded” (deemed valid as a result of police investigation of the report) calls. It is so structured and concentrates its resources at the bottom of the organization. The officers focus in the incident from whatever source to which they react. In this sense, “policy” is set on the ground by lower participants’ situated practices. This kind of policy results from decisions made quasi independently and seriatim by loosely supervised officers.

 

The second shaping force is interpersonal tactics in the incident. The sanctioned interpersonal tactics of policing are those thought to guarantee successful asserting of authority, taking control, closing the incident in some fashion, and returning to service. These are learned on the job from other officers and especially field-training officers, as the academic aspects of their training are viewed as irrelevant and even an impediment to doing good police work (discussed above as “police tactics.”) These constitute an aesthetic from which variation is permitted — a style — that has local departmentally shaped shadings.

The belief is that good policing, or a good piece of police work, has the following features. As a dramaturgical act, it requires:

  • sizing up the incident quickly (the police joke is that the officer is supposed to have it sized up before arriving)
  • dealing with the current situation in a parsimonious fashion
  • avoiding violence or extended arguments
  • deciding what to do and how to do it with dispatch
  • minimizing paperwork
  • producing solutions that facilitate returning to “service” (meaning becoming “available” — patrolling)
  • reducing cogitations about eventual guilt or innocence of the parties
  • eliminating remedies that are extensive, rehabilitative, educational, or transformative

The belief is that, once framed by the officer and handled in accord with these features, the incident has the social reality attributed to it by the officer. It takes organizational shape as the officer defines and describes it. A protective epigram protects and elevates judgments made on the scene: “You had to be there” (to understand what was done, why it was done, and the results produced). This epigram rules the occupational culture. It protects the officer from criticism or punishment. It has a patently irrational element in that it attributes to officers that which no one possesses: endless patience, insight into human deception, deep penetration into character, a wariness combined with trust, and a moderated “wait-and-see” attitude. Even researchers seek the buried but obvious reasonableness that must characterize police deciding. The idea that “distortions” are called upon suggests that the baseline of police deciding is of course reasonable, and somehow it must be shown by data that emotion, worry, guilt, anxiety, anger, and other mixed feelings exist in police shootings. This epigram and associated stereotype reinforce the inviolate and sacred center of the work — the reasonable, thoughtful, rational, cogitating individual officer, on the street deciding things. It provides for flexibility of action and freedom from close supervision. The officer’s account is virtually the rule of thumb in court as well: if the officer defines him- or herself as being in danger (or a police partner or member of the public), a shooting is considered prudent and legal (Hunt 1985). In addition, since the work is not defined in concrete terms or in terms of the content of the interactions involved, but rather is defined as a social form, what is done is open-ended and can be described using the conventional rhetoric sanctioned within the oral culture.

The third shaping force is repetitive modes of deploying resources. This is partially structural and partially processual — a result of how officers patrol. The repetitive modes of deploying resources (by beats, districts, and other territorially based obligations) ground “order” and ordering in places and doings more than in categories of crime, law, or morality. Policing is about the control of territory and the symbolization of that control. These deployment modes are sensitized by the list (above) of shifting targets, places, and people. In disadvantaged areas especially, where policing is expected as required, policing is played out as reflexive cybernetic policing. It responds to the known understandings of policing about where crime lies, in what areas of the city, and carried out by what groups of people, and during what hours, days, and months of the year. The records kept sustain the validity of the practices because they are based on the same assumptions.

The fourth force is the cluster of rewarded activities. Any organization operates by inducements and their distribution. These inducements to perform policing as expected are based on assumptions about how the social world of work operates, as well as what practices are necessary to cope with this world. These generally revolve around stops, arrests, and other visible interventions in areas known as being full of that potential. As discussed above, the absence of rewards for other activities — problem solving, developing partnerships, working with community groups, excellence in organizational politics (other than rank promotion) — continues to tie the organization to its symbolic crime-control emphasis and ritual attachment to routine stops and “showing activity.”

If we think of the incident as the window in which the practices are displayed, and these in turn being shaped by forces that are social facts, we can see that the incident is a ceremonial locus for repeating that which is valued and recognized as such in policing. In the incident the subjective and objective forces that govern the performance are mobilized. The activities have resemblance, coherence, and not a clear and obvious reality. Yet they are recognizable as “police work” in the here and now. The underlying continuity and resemblance between the actions may not be verbalized or described in nuance; the coherence is often assumed, not directly stated. The terms tied together by a fuzzy logic or like strands in a rope (Wittgenstein 1969) come to mind. They are known in spite of their emergent properties and complexity. These practices, and their existence as known properties of the incident, reproduce the modes of policing so frequently observed.

Notes

1. The term shapes can be only inferred from a number of studies of policing and its impacts as well as the available ethnographies and community studies of those policed.

Références

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  • Manning, P.K. 2010. Democratic Policing in a Changing World. Boulder, CO: Paradigm Publishers.
  • _________. 2008. The technology of policing: crime mapping, information technology, and the rationality of crime control. New York: New York University Press.
  • Moskos, P. 2008. Cop in the Hood: My Year Policing Baltimore's Eastern District. Princeton: Princeton University Press.
  • St. Jean, Pierre 2007. Pockets of crime. Chicago: University of Chicago Press.
  • Wittgenstein, L. 1969. The Blue and Brown Books. Oxford: Blackwell.
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Surveillance: Neutralization and Counter-Neutralization

Auteur: 
Marx, Gary T.

 

Article en voie de traduction

 

It may well be doubted whether human ingenuity can construct an enigma of the kind which human ingenuity may not, by proper application resolve.
----Edgar Allan Poe, The Gold Bug

 A central concern for students of criminology is how the law is mobilized (Black 1973). That concern also holds for students of society more broadly interested in norms or rules that are not sanctified in formal law. Cases must come to the attention of social control processors – both the fact that a violation has occurred and the identity of those responsible for it. One way this is happens is the self-report of victims such as a person whose car is stolen. But given the low visibility of many offenses and offenders, a large proportion of violations are not immediately known. Surveillance offers a key means of identification after the fact. It may also be intended as a means of prevention in inducing deterrence –potential violators aware of surveillance engage in self-control.

The advent of La société de sécurité maximale (Marx 2006) and related new surveillance technologies has been accompanied by an array of forms of resistance – behavioral techniques of neutralization and responses to these in the form of counter-neutralization. The former is illustrated by a tack hidden in the shoe, a commonly used means of beating the polygraph, by stepping down on it in response to certain questions. The latter is illustrated by a requirement that subjects remove their shoes.

New technologies rarely enter passive environments of total inequality. Instead, they become enmeshed in complex, pre-existing systems. They are as likely to be altered as to alter.  Professional associations, oversight organizations, and political and social movements affect this, as do the new markets that control technologies create for counter-technologies.

Many factors inhibit the full unleashing of surveillance: logistical and economic limits, competing values, the interpretive and contextual nature of human situations, system complexity and interconnectedness and the vulnerability of those engaged in surveillance to be compromised. Particularly in liberal democratic societies, there is space for resistance, irony and surprise.

The advantages of technological and other strategic surveillance developments may be limited and success (if present) short-lived -- the same holds for new developments to defeat surveillance. Surveillance is a dynamic process involving emergent interaction and developments over time with respect to anti- and pro-surveillance  actions. The former may be directed at a specific application or at the tactic more broadly.  Efforts may be instrumental or non-instrumental.

Non-instrumental forms of resistance can be seen in the sheer contrariness to authority that Foucault (1977) writes of regarding, "a certain decisive will not to be governed."  Scott’s (1985) work on the symbolic and/or non-instrumental expressions of  indignation and rebellion are related.  The contumacious need not be strategic.

There are a limited number of repertoires of surveillance neutralization and counter-neutralization, even though the specifics and settings vary greatly. This limit reflects the directive power of culture and commonalities in the nature and structure of surveillance contexts. There are parallels to Charles Tilly’s (1995) work on repertoires of contention.

The neutralizing actions described below involve direct resistance or avoidance rather than a broad strategic response such as challenging a law or encouraging a boycott. The resistance actions taken by an individual to defeat a given application are often covert in order to maximize effectiveness and/or to avoid suspicion and sanctioning. The goal is to defeat a given use, not to abolish its use.

Table 1 lists twelve techniques of neutralization. These are considered in greater detail in Marx (2009). Related themes are considered in Dupont (forthcoming), and Huey (2009).

Table 1   Twelve Neutralization Moves

discovering

find out if surveillance is in operation, and if it is, where, by whom and how

avoiding

choose locations, times periods and means not subject to surveillance

piggy backing

accompany or be attached to a qualifying object

switching

transferring an authentic result to someone or thing it does not apply to

distorting

altering input such that a technically valid result appears but the inference drawn from it is invalid

blocking

eliminating or making data inaccessible

masking

involves blocking in that original information is shielded, but goes beyond it to involve deception with respect to factors such as identity and location

breaking

rendering the surveillance device inoperable

refusing

“just say no” –ignore the surveillance and what it is meant to deter

explaining

accounting for an unfavorable result by reframing it in an acceptable way

cooperating

collusive moves with agents

counter-surveillance

role reversal as subjects apply the tactics to agents

 

Taking Off the Shoe:  Neutralizing Neutralization and Beyond

The strategic actions of both watchers and the watched can be thought of as moves in a game, although unlike traditional games, the rules may not be equally binding on all players. The 12 moves above provoke counter responses such as the uncovering moves Goffman  (1972 ) identifies. Agents serious about their work must eternally wonder if the reality they see is the reality it appears to be.

As the countless examples of neutralization suggest, human ingenuity is often richer than the possibilities that can be anticipated and built into the machine. In conflict settings the flexible and creative human spirit so far has some advantages over “dumb” machines with a limited number of programmed responses (at least the first time around).  Yet machines are quick learners, just as some subjects and agents are.  Table 3 identifies 4 counter moves by surveillance agents.

Table 3 Four Counter-Neutralization Moves

Technological enhancements

Creation of uncertainty through repetition, randomization and deception

Multiple means

New rules and penalties

 

Illustrations of technological enhancements can be seen in drug testing. Most drug tests now immediately take temperature readings – a reading less than 90 degrees is presumed to indicate dilution or substitution. A “drugwipe” test claims to “pick-up where standard drug testing leaves off.” It identifies drug residue on a desktop or other items.

The random application of surveillance can not be easily “gamed”. Consider the search of air travelers or those at borders based not on anything suspicious, but on a table of random numbers or the roving inspections on subways that rely on an honor system for ticket purchases.

Deception, in creating concern that persons and objects are other than they appear to be, is another form of uncertainty. Informers and undercover tactics are the classic deceptive examples of breaking informational borders. Hidden bugs and disguised surveillance cameras in everyday objects such as clocks, smoke detectors, towel dispensers and even Bibles are other examples.

Subjects may encounter repeated applications of the same means. To maximize deterrence, they may be told that there will be repetition, but not when and where. Or, when the emphasis is on apprehension, nothing is communicated. Consider checking the tickets of skiers at the top of a hill to be sure that they did not send their entry ticket down the hill to be used by someone else.

Multiple means can be seen in comparing an individual’s voice, retinal, fingerprint, facial or DNA patterns to those in a data base, along with requiring the possession of passwords and documents. Tying certification directly to the person’s body lessens problems such as stolen identification and passwords. Video cameras aimed at computer users offer an additional means of identification beyond access controls.

Where it is not possible to defeat neutralization via any of the prior strategies, law and policy may combat it by controlling information about tactics, prohibiting and penalizing activities and artifacts, offering rewards or legally compelling cooperation. Required standards for tools and agents may be designed to minimize successful neutralization.

If a tack in the shoe fails because subjects are required to take their shoes off, there are still other ways to create a pain in the posterior for agents through counter counter-neutralization means. Thus for the polygraph, after the addition of sensors to the subject’s chair to combat sphincter contracting, the main “how to beat it” book suggested tongue-biting, a move presumed to be undetectable by such means. (Maschke and Scalabrini 2005).

Once restricted to police, devices for spoofing Caller-Id such that the number displayed is not the number from which the call is made are now publicly available.

In response to police use of lasers for traffic enforcement an anti-laser stealth coating can be painted on headlights which is said to reduce the targeting range for determining speed, giving the driver more time to slow down.

Sellers of anti-drug products claim continual updates (e.g., heat strips for powdered urine to pass the temperature test). In response to aerial surveillance, marijuana growers in national parks have turned to strains that are shorter and grow well in shaded areas, making them less vulnerable to discovery.

 

Varieties of Acceptance and Resistance

The above concepts for organizing types of resistance and response can permit the systematic analysis of variation for questions such as, “what are the correlates of the various forms of neutralization and counter-neutralization? What are the major interaction processes when neutralization and counter-neutralization are viewed sequentially?”

Yet resistance offers only part of the story. It is one end of a continuum of behavioral responses to surveillance. At the other end is acceptance. A central problem for the field should be exploring factors associated with acceptance or rejection.

This effort in turn needs to take account of the frequent gap between attitudes and behavior. The 12 neutralization tactics above emphasize behavioral rather than attitudinal responses. The varied relations between attitudes and behavior, between internal feelings and what is publicly presented should be eternally problematic for students of interaction and social order.

Neutralization responses are more likely to involve a “feigned” conformity and covert resistance, than direct overt resistance. More common than either of the above is acceptance (whether gladly or out of resignation, ignorance or indifference).

David Lyon (2007) captures the ubiquity and centrality of compliance:

…we tend to take-for-granted certain kinds of surveillance….People key in their PINS, use their passes, scan their RFID entry cards, give out their Social Insurance numbers, swipe their loyalty cards, make cell-phone calls, present their passports, surf the internet, take breathalyzer tests, submit to face iris scans and walk openly past CCTV cameras in routine ways….If people did hesitate, let alone withdraw willing cooperation, everyday social life as we know it today would break down.

Concepts for organizing types of conformity are also needed. Where individuals are aware and have the potential to respond, rarely will anyone be categorically accepting or rejecting.

The variety of surveillance means and contexts and distinctions between attitudes and behavior, overt and covert actions and crossing personal borders by taking from or imposing upon a person that could be studied for acceptance or rejection (and stops in between) make sweeping generalizations unwelcome. Analyzing distinct means (e.g., video, drug testing, biometric id, location monitoring, surveys and application forms and web activity) would likely yield stronger associations than the search for general orientations.  Nonetheless, there are likely patterns that can be studied more systematically.

Robert Merton’s (1957) distinction between attitudinal and behavioral conformity can be useful here. If we differentiate attitudes from behavior and accepting from resisting responses, and ignore ambivalence and fluidity, we have a fuller picture yielding four types of response for any given tool. (Table 3)

1.True conformists

persons who attitudinally and behaviorally accept the surveillance

2.Intimidated (or at least lacking resources or will for neutralization) conformists

persons who attitudinally reject but behaviorally accept the surveillance

3.Reluctant rebels

persons who attitudinally accept but behaviorally reject the surveillance  (e.g., under peer pressure)

4. Rebels

 

a. True rebels

persons who attitudinally reject the surveillance and overtly try to neutralize it

b. Closet rebels

persons who attitudinally reject the surveillance and covertly try to neutralize it

 

This table refers to subjects of surveillance. But surveillance agents too show a variety of attitudinal and behavioral responses – varying from loyal agents who believe in what they do and do it conscientiously, to ritualists who do not believe in what they are doing but need the work, to closet rebels who perform with indifference, and even outright (if hidden) cooperation with subjects. While a surveillance agent as a true rebel  is rare and will likely be out of a job if discovered.

Neutralization is a dynamic adversarial social dance involving strategic moves and counter-moves. It has the quality of an endless chess game mixing old and new moves. Those in the surveillance business respond to neutralization efforts with their own innovations which are then responded to in a re-occurring pattern. Whether for agents or subjects, innovations may offer only temporary solutions.

The cat and the mouse continually learn from each other and reiteratively adjust their behavior in the face of new offensive and defensive means.  For example the Department of Defense through its Polygraph Institute offers a 40 hour course to prepare examiners to deter, detect and prevent polygraph countermeasures.

The quality of play might improve or become more sophisticated, but this is within a broad moving equilibrium in which advantages from an innovation are not constant, particularly over time. This is one reason why “the war on …” rhetoric, with the idea of final victory, is inapplicable to much domestic surveillance. A better military analogy lies in escalation and a kind of surveillance arms race captured by  "the see-saw principle" of  new developments balanced by counter-developments.

References

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Les théories de la régulation du phénomène de la délinquance (control theories)

Auteur: 
Le Blanc, Marc

 

Le terme de «contrôle social» apparaît régulièrement dans les écrits criminologiques en langue française. Il s’agit d’une traduction littérale de l’expression anglo-saxonne «social control». Lécuyer (1967) recommande de bannir cette dernière. Il rappelle que le terme français de «contrôle» a le sens de vérification, tandis que le terme anglais de «control» signifie pouvoir, puissance, autorité, influence. Il suggère l’emploi du terme de la «régulation» qui correspond davantage à l’éventail des processus de socialisation. Il retrace l’histoire de ce terme jusqu’aux sources de la sociologie.

La régulation du taux de la délinquance

Lécuyer note l’utilisation de termes associés à la régulation, tels que régulariser, influence régulatrice et directrice et régularisation, chez Comte, dès 1826, dans sa théorie du pouvoir spirituel et, en 1851, dans sa théorie de la politique positive. Par la suite, Durkheim diversifie ce vocabulaire en y associant des termes comme contrainte, discipline, autorité, coercition. Par contre, avec ses livres «Le suicide» en 1897 et «Les formes élémentaires de la vie religieuse» en 1912, son analyse se situe au niveau sociétal, celui des phénomènes de masse. Le niveau d’interprétation de la criminalité comme le dénommera plus tard Pinatel (1963).

Les théories de la régulation sociétale du niveau de la délinquance dans un milieu ont, par la suite, été élaborées par les Américains. Pensons aux notions comme celles de d’organisation sociale différentielle de Sutherland (1934), de désorganisation sociale de Shaw et McKay 1969), d’opportunités légitimes et illégitimes de Cloward et Ohlin (1960), de désorganisation culturelle de Kornhauser (1978), d’efficacité collective de Sampson (1993; Sampson, Morenoff et Earls, 1999). Quelle que soit la notion retenue, ces théories affirment toutes que lorsque les mécanismes de la régulation sont affaiblis il en résulte une augmentation du taux de la délinquance dans une communauté ou une société. Le Blanc (1997a) a proposé une synthèse de ces notions sous la forme de quatre mécanismes de la régulation et deux conditions modulatrices. Il suggère que le taux de la délinquance s’accroît, premièrement, si l’organisation sociale est déficiente, c’est-à-dire s’il existe une dégradation des réseaux sociaux et de la régulation informelle par les relations interpersonnelles; deuxièmement, si l’organisation culturelle est anomique, c’est-à-dire si les normes et les valeurs ont perdu leur pouvoir de contrainte; troisièmement, si les opportunités délinquantes sont nombreuses, particulièrement celles qui sont d’une nature criminelle; et, quatrièmement, si les instruments d‘application des règles sont inefficaces, par exemple les services du système de la justice (police, tribunaux, services correctionnels). En plus, les faiblesses de ces mécanismes de la régulation sont accentuées si la communauté est détériorée physiquement et si elle se situe au bas de l’échelle sociale.

La régulation de la conduite délinquante

La régulation sociale. Des théories de la régulation de la conduite délinquante ont également été formulées au niveau d’interprétation de l’individu, celui du criminel selon l’appellation de Pinatel (1963). Durkheim a été le premier à formuler une telle théorie dans son cours sur l’éducation morale dès 1902-03. Il introduit deux notions fondamentales, l’attachement au groupe et les contraintes sociales. Durkheim soutient que la société est un être psychique et que la socialisation commence par l’attachement. Pour lui, l’attachement est une forme d’identification à un groupe et, pour la définir, il utilise des termes comme ne faire qu’un avec lui, le substituer à soi. Cet attachement au groupe se noue avec la famille, la corporation, des associations, la patrie, l’humanité. Il s’appuie sur l’attachement à des personnes sur une base de sympathie interindividuelle. En plus, il implique un engagement envers la moralité du groupe. Si l’attachement est le premier mécanisme de la socialisation, il jouit du soutien des contraintes sociales selon Durkheim. Les contraintes sociales sont des forces qui imposent des restrictions et des limites à la conduite des personnes. Ces forces sont coercitives parce qu’elles s’appliquent à des conduites qui sont prohibées et susceptibles d’être punies par des instances officielles de régulation sociale. Ces forces se manifestent par des règles qui dictent les conduites appropriées et elles s’affirment par des sanctions lorsqu’elles sont violées. Pour Durkheim, l’adhésion aux normes et la probabilité d’être puni créent l’obligation de se conduire d’une manière socialement approuvée.

Hirschi a élaboré une théorie de la mécanique de la socialisation dans son livre «Causes of delinquency» (1969). Hirschi a déployé la notion d’attachement au groupe de Durkheim dans celle du lien social. Ce lien est noué avec diverses institutions, tout particulièrement la famille, l’école et les pairs pour les adolescents. Ce lien se manifeste par l’attachement aux personnes, l’engagement envers les institutions, la participation à des activités conventionnelles et la croyance aux valeurs de la société. Au cours des 50 dernières années, cette théorie est devenue la théorie dominante de la criminologie. La très grande majorité des publications théoriques y réfère pour l'appuyer, la critiquer ou lui intégrer d'autres éléments et de très nombreuses études empiriques la confirment en Amérique du Nord et dans plusieurs pays occidentaux (Kempf, 1993; Shoemaker, 2005).

Par contre, Hirschi ne s’est pas attardé à la notion de la contrainte sociale proposée par Durkheim. Il aborde la question de la supervision et de la discipline familiale dans le cadre de la vérification empirique de sa théorie du lien social. Nye (1958) avait déjà distingué entre les contraintes externes et internes et directes et indirectes. Ultérieurement, Le Blanc (1994) analyse l’articulation des contraintes formelles, la réaction appréhendée ou réelle de la part des organismes du système de justice ou d'autres institutions, et informelles, la réaction de personnes avec qui l'individu entretient des relations interpersonnelles, qu’elles soient externes, les réactions de l’entourage de l’individu, ou internes, l’intériorisation des valeurs et des normes de conduite, ce que Hirschi nommait croyances, et la perception du risque d'une sanction formelle.

À la suite d’une formalisation de la théorie de Hirschi par Le Blanc et Caplan (1993), Le Blanc a proposé et testé (1997a, b) un modèle enrichi de la régulation sociale de la conduite délinquante. Cette théorie affirme que la régulation de l'activité délinquante s'opère à travers les interactions réciproques entre trois composantes, les liens que l'individu noue avec la société et ses membres, les contraintes exercées par les institutions sociales et le degré d'exposition de l’individu aux influences et aux opportunités prosociales et antisociales. Ces interactions réciproques sont modulées par plusieurs con­ditions dont l'âge, le sexe, le statut socioéconomique, etc. Ainsi, à travers le temps, la force du système de la régulation sociale se modifie au gré des interactions entre ces composantes et de leur développement, mais la nature de la régulation change aussi, elle passe d'extérodirigée à intérodirigée.

Cette théorie a également été spécifiée pour certaines des institutions sociales qui dominent la vie de l’adolescent, la famille et l’école. Le Blanc (1992) vérifie un modèle de la régulation familiale. Celui-ci inclut les liens familiaux (attachement aux parents et participation à des activités communes) et les contraintes familiales (les règles et leur légitimité, les méthodes disciplinaires et la supervision) comme mécanismes de la régulation de la conduite délinquante. En plus, il introduit les forces modulatrices que sont les statuts sociéconomique et familial, les relations entre les parents et les attitudes et comportements déviants des parents. Concernant la régulation scolaire, Le Blanc, Vallières et McDuff (1992) démontrent que les liens scolaires (attachement aux professeurs, participation aux activités scolaires et engagement envers l’éducation) interagissent avec la performance et les contraintes scolaires (les règles et leur légitimité, les sanctions) pour régulariser la conduite délinquante compte tenu du statut socioéconomique et du sexe de l’adolescent.

La régulation psychologique. Plusieurs manuels sur la délinquance reconnaissent que la régulation sociale a un pendant psychologique. Empey (1978) soutient que certains éléments de la théorie psychanalytique de Freud sont associables aux théories de la régulation. Freud dans son essai sur «Le Moi et le Ça» (1967) affirme que la vie mentale dépend de l’interaction entre trois instances psychiques. Il s’agit, d’abord, un ça qui constitue le réservoir des pulsions et des instincts; il y a, ensuite, un moi, avec ses niveaux conscient et inconscient, qui régit les fonctions mentales, assure la gestion des pulsions et permet l’adaptation de la personne à la réalité extérieure; et, finalement, il existe un surmoi, une structure morale qui définit le bien et le mal, les aspirations et les interdits. L’interaction entre ces instances régularise les instincts antisociaux des personnes qui se manifestent, entre autres, sous la forme de la conduite délinquante. Cette théorie a inspiré les cliniciens anglo-saxons (Feldman, 1969) et français (Chartier, 1991), mais elle n’a pas fait l’objet de vérifications empiriques rigoureuses (Shoemaker, 2005). Notons que Durkheim (1963) avait identifié un troisième élément de la moralité qu’il nommait l’autonomie de la volonté. Il utilise les termes de tempérament, intelligence et personnalité, mais il définit cet élément comme la «maîtrise de soi», une puissance d’inhibition, une autorité sur soi.

En criminologie, la régulation psychologique a fait l’objet d’un certain intérêt dans les années 1950-1960, par exemple les travaux de Reckless (1967). Il distingue des forces de la poussée et de la retenue qui régularisent la conduite délinquante. Parmi les forces d’endiguements de cette dernière, un concept de soi solide et prosocial constitue les principales d’entre elles. Celui-ci se manifeste par des aspirations à long terme, de la tolérance à la frustration et de l’engagement envers les normes. Il y a une ressemblance entre le surmoi de Freud et le concept de soi. Qu’il s’agisse du concept de soi, de l’estime de soi ou de toutes les autres notions équivalentes, selon Shoemaker (2005) un concept de soi piètre ou antisocial est associé à un niveau plus élevé de la conduite délinquante. Toutefois, il souligne que les études qui comparent ce mécanisme de la régulation avec d’autres concluent que le concept de soi n’est pas le facteur explicatif le plus important de la conduite délinquante.

Il aura fallu attendre 1990 pour que la criminologie américaine vive une révolution culturelle et s’intéresse sérieusement à la régulation psychologique. Gottfredson et Hirschi publient leur livre «A general theory of crime». Ils affirment que la cause principale de la conduite délinquante n’est pas des liens sociaux fragiles, mais une faible maîtrise de soi, «a low self-control». Ils précisent les traits de la faible maîtrise de soi : l’impulsivité, l’insensibilité, l’activité, la recherche de sensations ou du risque, le présentisme et la prépondérance du non-verbal. Un rapprochement est facile entre le moi de Freud, l’autonomie de la volonté ou la maîtrise de soi de Durkheim et la faible maîtrise de soi de ces auteurs. Cette position a occasionné de nombreux débats théoriques et de nombreuses recherches empiriques. Dix ans plus tard, la méta analyse de Pratt et Cullen (2000) confirme que la faible maîtrise de soi prédit efficacement la conduite délinquante, mais que contrairement à l’affirmation de Gottfreson et Hischi elle n’explique pas à elle seule la conduite délinquante.

La régulation sociale et psychologique. Reiss, en 1951, a été le premier à concevoir clairement la régulation individuelle de la conduite délinquante comme une interaction entre la régulation sociale et la régulation psychologique. Il confirmait empiriquement que cette conduite résulte d’une régulation sociale et psychologique moins efficace. Cette voie de la recherche n’a pas été suivie avant quelques décennies. À partir des années 1980, Le Blanc a formulé la régulation individuelle de cette manière (1997a, 2005) et il a procédé à une vérification de ce modèle avec des échantillons de diverses époques et de diverses natures (Le Blanc, Ouimet et Tremblay, 1988; Le Blanc, 1997b).

La régulation du passage à l’acte délinquant

Les théoriciens contemporains du passage à l’acte, Clarke et Cornish (1985), adoptent une perspective de la régulation. D’une part, Hirschi (1986) reconnaît qu’il n’y a pas d’opposition entre les théories de la régulation sociale et du choix rationnel; d’autre part, Felson (1986) signale que les théories de la régulation sociale et des activités routinières sont compatibles. Les activités routinières sont des activités publiques qui mettent les individus en contact avec des occasions de commettre des crimes; ils auront lieu dans la mesure ou la surveillance de la cible est relâchée et que l’intérêt pour le délinquant potentiel est présent, ainsi ce dernier effectue un choix rationnel. Plusieurs criminologues ont élaboré cette théorie, dont Cusson (1981, 1998). Le Blanc (1997a) propose de concevoir la régulation du passage à l’acte comme la résultante de quatre mécanismes, la nature des activités routinières, la faible maîtrise actuelle de soi, les occasions de commettre des comportements délinquants et la surveillance des cibles. Les interactions entre ces mécanismes de la régulation du passage à l’acte sont modulées par la régulation sociétale et la régulation individuelle, telles que décrites ci-dessus.

Une théorie générale

La régulation, qu’elle soit sociétale, individuelle ou du passage à l’acte, réfère à un processus de socialisation. Cette perspective sur le phénomène de la délinquance est intéressante dans la mesure ou les postulats suivants sont acceptés. L’être humaine est fondamentalement un non-conformiste, c’est la position de Hobbes, Freud et Durkheim. Il existe un consensus social sur un certain nombre de valeurs et de normes de conduites, c’est le point de vue de la majeure partie des criminologues. La socialisation n’est jamais parfaite, elle ne réussit pas toujours à ce que les individus renoncent à leurs instincts antisociaux et à les faire coopérer avec les autres, les recherches empiriques le démontrent. La personne a le choix de sa conduite, mais il n’en demeure pas moins que les finalités des tous les actes, déviants ou non, sont les mêmes (Cusson, 1981). Une théorie générale de la régulation du phénomène de la délinquance peut alors prendre la forme suivante: dans un milieu et des conditions favorables, les mécanismes de la régulation sont efficaces pour favoriser et maintenir la conformité; ces mécanismes de la régulation sont la formation d’un lien, le modelage, la contrainte et la maîtrise de soi (Le Blanc, 1997a). Les mécanismes d’interaction de ces composantes de la régulation sont conçus comme un système autorégulé selon les principes du paradigme de l’ordre et du chaos (Le Blanc, 2005).

Conclusion

Il est facile de constater que la théorie de la régulation du phénomène de la délinquance s’est étendue dans plusieurs directions, les niveaux d’interprétation du crime, du criminel et de la criminalité. Les notions de base de Comte, Durkheim et Freud ont été déployées par les criminologues qui les ont suivis. Il reste encore beaucoup à faire, tout particulièrement améliorer l’opérationnalisation des notions de bases et développer la conception de l’interaction entre les régulations de types sociétale, individuelle et du passage à l’acte. Si la régulation sociale a fait l’objet de recherches extrêmement nombreuses, il n’en est pas de même pour les autres formes de la régulation.

Références

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Politique criminelle

Auteur: 
Queloz, Nicolas


1. Genèse et racines

Le pénaliste allemand Feuerbach (1801) utilisa le concept de «Kriminalpolitik» pour désigner «l’ensemble des procédés répressifs par lesquels l’Etat réagit contre le crime» (Delmas-Marty 1992: 13) et préconisa, comme Beccaria (1764), la légalité du droit pénal: la loi pénale écrite est la pierre angulaire de la politique criminelle étatique, garde-fou de l’arbitraire et elle peut exercer une pression sur la population (impact du «code sacré des lois» de Beccaria (1965: 14), «contrainte psychologique» de Feuerbach) pour la retenir de commettre des infractions.

Beccaria affirmait encore que «le moyen le plus sûr, mais le plus difficile, de lutter contre le crime est de perfectionner l’éducation» (Beccaria 1965: 78). Plus d’un siècle après lui, von Liszt (1882) prononcera cette phrase devenue célèbre: «Une bonne politique sociale est la meilleure politique criminelle».

Politique sociale, politique de l’éducation, politique criminelle: ont-elles des points communs ? Oui, leurs racines communes sont d’être des politiques, publiques, faisant partie du contrôle social, selon la relation suivante:

         Politique

→   politiques publiques

→   politiques économiques et sociales

→   politiques de contrôle social

→   politiques de sécurité

→   politiques criminelles et politiques pénales

Au sens large, la politique «concerne l’organisation, l’exercice du pouvoir, le gouvernement des hommes, par un État, au sein d’une société organisée» (Arnaud 1993: 453). Au sens étroit de «policy», la politique désigne des programmes appliqués dans des domaines concrets de la vie de la Cité: ce sont les politiques publiques qu’une autorité «choisit d’engager pour intervenir – ou ne pas intervenir –  dans un domaine spécifique» (Ibidem : 457): par exemple, la politique de la santé, la politique de la famille, de la jeunesse ou la politique de l’éducation.

Par le concept de «social control», Ross désignait à la fin du 19e siècle la capacité qu’une société a de se réguler elle-même en fonction de principes et de valeurs guides. Nous avons défini le contrôle social comme l’ensemble des valeurs, des normes et des actions (de prévention, d’intervention, de réaction) qui sont mises en oeuvre dans une société afin de réguler, voire de discipliner la vie sociale (Queloz 1988 : 41). Le contrôle social comprend donc l’ensemble des processus de socialisation (éducation, intégration) et de resocialisation ou de réinsertion sociale (l’un des buts des politiques pénales).

Les politiques de sécurité, qui font partie des processus de contrôle social, comprennent les actions engagées par un État pour protéger ses citoyens contre les dangers externes et internes (conflits, crises, attentats, accidents, crimes) menaçant leur sécurité et celle de la vie en société (Cusson, Dupont et Lemieux, 2007). Elles sont donc plus larges et devraient inclure la politique criminelle.

 

2. Politique criminelle et politique pénale

Les concepts de politique criminelle et de politique pénale sont-ils différents?

Dans la conception «originelle» de Feuerbach et de la plupart des pénalistes, politique pénale et politique criminelle sont pris comme synonymes, ce qui est toutefois une conception trop restrictive de la politique criminelle.

En revanche, quand Ancel définit la politique criminelle comme «la réaction organisée et délibérée de la collectivité contre les activités  délictueuses,  déviantes ou antisociales» (Ancel, 1975 : 15) ou Delmas-Marty comme «l’ensemble des procédés par lesquels le corps social organise les réponses au phénomène criminel» avec le droit pénal comme «noyau le plus dur» (Delmas-Marty, 1992 : 13), il ressort que la politique pénale n’est qu’un sous-ensemble de la politique criminelle. A vrai dire, au lieu de politique criminelle, il serait plus juste de parler de politique anti-criminelle, bien que nous n’aimions pas l’image d’une «lutte contre le crime» dont découle trop souvent un langage guerrier (de type «guerre aux criminels»).

Cusson, plutôt que de «politique criminelle», a toujours parlé de «contrôle social du crime» (1983) pour «désigner les efforts de tous pour maintenir la délinquance dans des limites supportables» ou «l’ensemble des moyens mis en œuvre par les membres d’une société dans le but spécifique de contenir ou de faire reculer le nombre et la gravité des délits. La définition … exclut donc … les politiques économiques, sociales ou démographiques qui produisent ce résultat sans que leurs participants en aient l’intention nette» (Cusson, 2005: 119). Nous avons donc ici une définition plus étroite du contrôle social (que celle ci-dessus) et qui correspond au sens que nous souhaitons donner au concept de politique criminelle.

Quant à la politique pénale, comme l’un seulement des types d’action de la politique criminelle, elle vise à élaborer les incriminations (définition des infractions) et les sanctions qui s’ensuivent et qui s’individualisent dans les sentences prononcées par la justice pénale.

 

3. Sources de la politique criminelle

Sur quelles bases s’édifie la politique criminelle? La question est d’importance. Elle permet d’illustrer la distinction courante entre politique criminelle «rationnelle» et politique criminelle «pratique».

La politique criminelle «rationnelle» devrait être fondée sur des théories scientifiques et des données empiriques fiables. Ses sources principales résideraient dans les sciences criminelles dont la figure 1 donne une image théorique «idéale».

Toutefois, sur la contribution des sciences criminelles à l’élaboration de la politique criminelle, les scientifiques ne se font aujourd’hui plus beaucoup d’illusions: la politique criminelle est très peu «rationnelle» (peu fondée sur les connaissances théoriques et empiriques acquises), très politisée (très influencée par les idées partisanes, voire populistes1) et très émotionnelle (menée au gré, très médiatisé, des drames criminels et des dysfonctionnements des appareils de contrôle). C’est toute la difficulté de la relation complexe entre ce qui est vu comme l’«angélisme» des uns («théoriciens») et le «pragmatisme» des autres («praticiens», «décideurs»).

En ce qui concerne la politique criminelle «pratique», nous la définissons, dans une perspective interactionniste, comme le résultat d’un processus permanent de confrontations sociales entre quatre catégories d’acteurs sociaux, dont la figure 2 donne une image réaliste «désenchantée»: des entrepreneurs de morale2, des acteurs qui définissent les normes d’incrimination et de sanction, des acteurs qui transgressent ces normes et des acteurs qui réagissent à ces transgressions.

 

Ces processus d’interactions conduisent aussi bien à la définition de politiques criminelles concrètes, qu’à celle des objets-cibles de ces politiques, à savoir les crimes, les criminels, la criminalité et ses victimes. Ce sont finalement des processus de construction-déconstruction-reconstruction constants de l’ordre social, dans lesquels ni le «rationnel», ni les «scientifiques» ne sont évidemment exclus. Par exemple, en Suisse, les débats relatifs à l’interruption (punissable et non punissable) de la grossesse, aux initiatives populaires sur «l’internement à vie des délinquants sexuels ou violents jugés très dangereux et non amendables» (acceptée en 2004) et sur «l’imprescriptibilité de l’action pénale et de la peine pour les auteurs d’actes d’ordre sexuel ou pornographique sur des enfants impubères» (acceptée en 2008) sont des illustrations marquantes de ces processus de confrontations sociales.

4. Composantes essentielles de la politique criminelle

4.1       Nous considérons les objets-cibles de la politique criminelle comme étant les crimes (aussi bien dans leur dimension de définition que d’action), les criminels (dans la double dimension des acteurs criminels et des représentations sociales qu’ils suscitent), la criminalité (avec une double dimension: «objective», comme ensemble des crimes commis dans un temps et un espace donnés et «subjective», comme objet de rumeurs, de peurs et de sentiments d’insécurité) et les réponses à ces phénomènes (de tout type organisé et quelles que soient leurs finalités), y compris la protection des victimes de la criminalité.

4.2       Quant aux buts de la politique criminelle, nous estimons qu’ils sont:

-        de prévenir la criminalité ou d’éviter sa survenance;

-        de la réduire et de la sanctionner là où elle existe;

→      afin de protéger:

- la société (biens collectifs, de sécurité et de paix publiques);

- et les biens des personnes ainsi que leurs droits fondamentaux, aussi bien des victimes que des auteurs justiciables.

4.3       Dans la poursuite de ces buts, la politique criminelle exerce alors les fonctions majeures suivantes:

-         de prévention, au sens de véritable proaction;

-         d’intervention, qui comprend les actions de contrôle, de détection, de renvoi et d’enregistrement;

-       de réaction ou «post-vention», dont les formes sont très variées et concernent particulièrement deux catégories d’acteurs: la sanction des délinquants, par des peines (qui peuvent frapper divers biens des condamnés) et des mesures (de suivi, de traitement, de sûreté); et l’aide aux victimes d’infractions, selon diverses formes de soutien et de réparation.

4.4       Enfin, les moyens d’action de la politique criminelle sont nombreux:

-         politiques publiques, d’éducation, de prévention et de contrôle;

-      et politiques pénales proprement dites, avec le droit pénal, l’organisation judiciaire, la procédure pénale et le domaine de l’application des sanctions.

Cusson distingue 3 grandes catégories d’action de contrôle social du crime:

-     informelles: par l’éducation et la prévention développementale (formation de la conscience morale);

-     situationnelles: par l’autoprotection (publique et privée);

-     pénales: par les sentences et les sanctions pénales, qui peuvent viser la neutralisation, la persuasion, la réinsertion et la dissuasion.

Ensemble, ces trois types d’action devraient jouer un effet de limitation de la criminalité: «Selon cette logique, la criminalité est, par ricochet, façonnée par les décisions des acteurs du contrôle social, par cette myriade d’acteurs sociaux qui décident de faire ou de ne pas faire quelque chose contre le crime. Ou, plus précisément, elle résulte de la rencontre entre les décisions des agents du contrôle social et celles des contrevenants» (Cusson 2005 : 136).

 

5. Politique criminelle et rationalité économique

L’évolution des politiques criminelles de ces vingt dernières années (en Amérique du Nord puis en Europe) démontre la place prioritaire prise par la rationalité économique, à tel point que les termes de «gestion pénale», de «gestion de la sécurité» et de «gestion des risques» (de criminalité et d’insécurité) tendent à se substituer à ceux de politique criminelle et de politique pénale.

Une lueur d’espoir émerge de cette logique de calcul permanent: elle peut mener à une réduction du recours à la peine de mort et à la peine privative de liberté. Les deux exemples suivants, tirés des débats récents de politique criminelle aux USA, où la philosophie de la «deterrence» (dissuasion par l’intimidation et la neutralisation pénales) est pourtant si forte, nous semblent très significatifs:

-     Si, aux USA, ce ne sont que 12 États sur 51 qui ont de jure aboli la peine de mort, ce sont 19 États qui, de facto, à fin 2009, ne pratiquent plus la peine capitale. Au cours des années 2007-09, ce sont 2 nouveaux États qui ont aboli la peine de mort et 7 autres qui ont suspendu les exécutions capitales. «Ce qui explique les récents progrès du mouvement abolitionniste … c’est une histoire de gros sous. La peine de mort coûte cher… Et en période de crise, elle aurait même tendance à devenir un luxe, que certains États américains ne peuvent plus s’offrir. Des initiatives sont en cours dans une dizaine d’États américains pour abolir la peine capitale.»3

-     La peine privative de liberté est utilisée à plein régime aux USA, selon des tarifs («sentencing guidelines») très rigides et des règles inflexibles (comme celle du «three strikes and you are out»). Cette politique d’incarcération forcenée a conduit à une très forte surpopulation carcérale. Le record est atteint par la Californie, l’un des plus gros États incarcérateurs du monde (avec notamment la Russie, Cuba et la Chine) qui, depuis 30 ans, a dépensé tellement pour ses prisons que c’est tout son système d’éducation et de formation qui en subit les réductions désastreuses. En septembre 20094, sous la pression de la crise économique, les parlementaires californiens ont voté un plan visant à réduire la population carcérale de près de 25’000 prisonniers d'ici deux ans: le gouverneur Schwarzenegger avait demandé une réduction de 55’000 prisonniers en soulignant que la Californie dépense près de 49’000 dollars par an et par prisonnier.

Nous sommes pleinement d’accord avec Kellens lorsqu’il affirme qu’il faut être conscient de la portée de ses choix: «Il faut savoir que la violence des moyens est un élément d’une société violente. Il faut savoir que l’enfermement est un élément d’une société fermée. Les choix sont étroitement liés. Ils se libèrent ou s’étranglent mutuellement» (Kellens 1991 : 303).

Juin 2010

Notes

1. Cf. Salas (2008), qui constate qu’en France, la «dérive sécuritaire» a tourné au «populisme pénal», centré sur une «idéologie victimaire» ou sur l’obsession de protection des victimes, réelles et, plus encore, potentielles: gestion des risques «de devenir victime».

2. Au sens de Becker (1985), à savoir des individus et groupes de pression qui entreprennent «une croisade pour la réforme des moeurs» et croient ainsi poursuivre «une mission sacrée».

3. Article RFI, Sylvain Biville, 18.03.2009.

4. La Californie comptait alors 170'000 prisonniers, pour une capacité théorique de 85'000: Los Angeles Times, 12.09.2009.

 

Références

  • M. Ancel, Pour une étude systématique des problèmes de politique criminelle, Archives de politique criminelle, 1975.
  • A. J. Arnaud (sous la direction de), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, LGDJ, 1993.
  • C. Beccaria, Des délits et des peines, Genève, Droz, 1965.
  • H.S. Becker, Outsiders, Paris, Métailié, 1985.
  • M. Cusson, Le contrôle social du crime, Paris, PUF, 1983.
  • M. Cusson, La criminologie, Paris, Hachette, 4e édition 2005.
  • M. Cusson, B. Dupont, F. Lemieux, Traité de sécurité intérieure, Montréal, HMH, 2007.
  • M. Delmas-Marty, Les grands systèmes de politique criminelle, Paris, PUF, 1992.
  • G. Kellens, Précis de pénologie, Liège, Faculté de droit, 1991.
  • N. Queloz, La sociologie du contrôle social, Revue internationale de sociologie, 1988, 7-47.
  • N. Queloz,  Quelle(s) criminologie(s) demain? In B. Brägger et al. (sous la direction de), La criminologie, évolutions scientifiques et pratiques, Zurich, Ruegger, 2004, 321-347.
  • D. Salas, La volonté de punir: essai sur le populisme pénal, Paris, Pluriel, 2008.            
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Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

Chaire de recherche du Canada en sécurité, identité et technologie: http://www.benoitdupont.net

Chaire de recherche du Canada en surveillance et construction sociale du risque: http://www.social-surveillance.com

CICC: http://www.cicc.umontreal.ca

ISBN: 978-2-922137-30-9