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Surpopulation des prisons

 

Le concept de surpopulation des prisons ou de surpopulation carcérale ne doit pas être confondu avec celui d’inflation carcérale (Conseil de l’Europe, 2000). Parler d’inflation carcérale, c’est constater que l’augmentation du nombre de personnes détenues à un instant donné  est « très importante » c’est-à-dire sans commune mesure avec l’augmentation du nombre d’habitants. Par exemple,  la France a connu, entre le 1er janvier 1975 et le 1er janvier 1995,  un accroissement de 98 % du nombre de détenus contre 10 % seulement pour le nombre d’habitants (métropole). Ainsi en 20 ans, le taux de personnes détenues, qui permet de raisonner à nombre d’habitants constant, est passé de 49 à 89 pour 100 000 habitants. Dans cette façon de voir les choses, on fait un constat sur l’ampleur de l’accroissement du taux de personnes détenues sans se poser, à ce niveau, de questions en terme de causalité (accroissement et transformation structurelle de la délinquance et de la criminalité ? sévérité accrue des juridictions de jugement ? etc.) et sans référence aux questions de capacité des établissements pénitentiaires. Le concept d’inflation carcérale n’a de sens qu’en référence à un intervalle de temps suffisamment long pour que les évolutions ne soient pas simplement conjoncturelles, à la différence du concept de surpopulation des établissements pénitentiaires qui se réfère, de prime abord, à la situation à une date t donnée.

L’expression  de  surpopulation a, dans le langage courant, deux sens assez différents : un sens général « il y a trop de détenus » sans que l’on précise sur quels critères on se base pour affirmer ce diagnostic, un sens plus précis qui se réfère à la capacité des établissements pénitentiaires. Dans ce second sens, il est question de l’inadéquation, à un instant t, entre le nombre de détenus et la capacité « d’accueil » dans les établissements pénitentiaires. La surpopulation est alors évaluée par deux indices définis infra la densité carcérale et le nombre de détenus en surnombre. Certes, il existe généralement des liens entre surpopulation et inflation carcérale, mais rien n’est simple. L’inflation accentue le problème de la sur-occupation des lieux de détention, faute de constructions suffisantes. Mais la sur-occupation ne peut-elle pas diminuer l’inflation, en mobilisant les pouvoirs publics dans le sens d’une diminution du recours à la prison ? La sous-occupation - obtenue par une politique de développement inconsidéré du parc pénitentiaire ne peut-elle pas favoriser l’inflation ? On sort ici des certitudes pour laisser place, compte tenu du manque de travaux en la matière à de pures hypothèses. Toujours est-il que distinguer les deux concepts permet au moins de poser les problèmes de leur lien.

La notion de capacité d’un établissement pénitentiaire (nombre de places opérationnelles à un instant t) est évidemment difficile à cerner. Ne suffit-il pas d’installer un matelas par terre pour qu’une cellule supposée individuelle devienne une cellule à deux places ? Dans une note datée du 3 mars 1988, l’administration pénitentiaire française a défini un mode de calcul de la capacité de chaque établissement en se référant uniquement à la superficie de la cellule individuelle ou collective ou du dortoir selon le barème suivant (Tournier, 2007) : superficie de « moins de 11 m2 »  = 1 place, « 11 à 14 m2  inclus » = 2 places, « 14 à 19 m2 inclus » = 3, « 19 à 24 m2 inclus » = 4, « 24 à 29 m2 inclus » = 5, « 29 à 34 m2  inclus » = 6, « 34 à 39 m2 inclus » = 7, « 39 à 44 m2  inclus »  = 8, « 44 à 49 m2  inclus »  = 9, « 49 à 54 m2 inclus » = 10, « 54 à 64 m2  inclus » = 12, « 64 à 74 m2  inclus » = 14, « 74 à 84 m2 inclus » = 16, « 84 à  94 m2 inclus » = 18, « plus de 94 m2 inclus» = 20 places.

Mais il est évident que la superficie nécessaire à chaque personne détenue pour que les conditions de détention soient acceptables va dépendre du temps que le détenu passe dans cet espace, et donc de l’organisation de la vie dans l’établissement, de l’ensemble de ses équipements (cours de promenade, ateliers, salles pour la formation, équipements sportifs, etc.) et des moyens en personnels des différentes catégories (surveillants, agents de probation, etc.) (Conseil de l’Europe, 2006).

Souvent appelé taux d’occupation - terme ambigu s’il en est car cela peut faire penser à un taux d’activité -, le concept de densité carcérale représente le nombre personnes détenues à la date t, rapporté à la capacité opérationnelle des établissements pénitentiaires.  Généralement exprimé pour 100, c’est un indice de stock. L’évaluation de la densité carcérale au niveau global d’un Etat n’a qu’un sens limité. Une situation globalement satisfaisante, si l’on peut dire (densité = 100), peut, en fait, recouvrir des situations explosives dans tel ou tel établissement masquées par l’existence d’établissements sous-utilisés (inadéquation du parc pénitentiaire aux besoins locaux). Regardons l’exemple d’école suivant :

 

Nombre de détenus

Nombre de places

Densité p. 100

Prison n°1

460

500

  92

Prison n°2

120

80

150

Prison n°3

500

450

111

Prison n°4

700

750

  93

Ensemble

1780

1 780

100

Le calcul de la densité moyenne, obtenue en faisant la moyenne arithmétique des densités par établissement, donne sur cet exemple, une densité de 111 pour 100. Le diagnostic est ainsi déjà moins optimiste que celui donné par la densité globale de  100 (calculée en rapportant le nombre total de détenus au nombre total de places).

Plus généralement, une densité globale inférieure ou égal à 100 et une densité supérieure strictement à 100  ne donnent pas lieu à des interprétations duales. Si la densité est strictement supérieure à 100, c’est qu’il y a au moins un établissement surpeuplé, voire plus. De toute évidence, la situation n’est pas satisfaisante. En revanche, si la densité globale est inférieure ou égale à 100, il se peut qu’il y ait des établissements surpeuplés. On ne peut pas alors se satisfaire de cette information. Il faut en savoir plus et descendre au niveau de chaque établissement.  Le second indice repose sur ce principe.

Le nombre de détenus en surnombre, sur un territoire donné, à un instant donné est un indice essentiel, et souvent mal compris, pour mesurer l’état de la surpopulation carcérale (Tournier, 2007)  Considérons deux établissements pénitentiaires A et B. A la date t, A dispose de 100 places opérationnelles et B de 150 places, soit un total de 250 places.

- 1er cas. A reçoit 120 détenus et B et 180 détenus. Globalement, il y a  300 détenus  pour  250 places, soit un écart de  50. Il y a 20 détenus en surnombre dans A et 30 détenus en surnombre dans B (20 + 30 = 50). Le nombre total de détenus en surnombre correspond bien à l’écart positif)  entre le nombre total de détenus et le nombre total de places.

- 2ème cas. A reçoit 80 détenus et B et 110 détenus.  Globalement, il y a  190 détenus  pour  250 places, soit un écart de  - 60. Il y a 20 places libres dans A et 40  places libres dans B (20 + 40 = 60). Le nombre total de places libres correspond bien à l’écart (négatif)  entre le nombre total de détenus et le nombre total de places.

- 3ème cas. A reçoit 80 détenus et B et 180 détenus. Globalement, il y a 260 détenus  pour  250 places, soit un écart de  + 10. C’est ce que l’on appelle la surpopulation apparente. En réalité, il y a 20 places libres dans A et 30 détenus en surnombre dans B. Soit un nombre global de détenus en surnombre de 30. L’écart, positif, entre le nombre total de détenus et le nombre total de places indique bien un état de surpopulation, mais ne mesure pas le nombre de détenus en surnombre.

Détenus en surnombre =  surpopulation apparente + nombre de places libres (30 = 10 + 20).

- 4ème cas. A reçoit 110 détenus et B 120 détenus. Globalement, il y a 230 détenus  pour  250 places, soit un écart de - 20 (sous-population apparente). En réalité, il y a 10 détenus en surnombre dans A et 30 places libres dans B Soit un nombre global de détenus en surnombre de 10. L’écart, négatif entre le nombre total de détenus et le nombre total de places indique simplement que tous les établissements ne sont pas surpeuplé.

Détenus en surnombre =  surpopulation apparente + nombre de places libres (10 = - 20 + 30).

Voici quelle est la situation de la population détenue en France au 1er avril 2010 (métropole et outre-mer). A cette date on compte 15 % de détenus en surnombre (essentiellement dans les maisons d’arrêt sensées  recevoir les prévenus et les « courtes peines ») :

 

Ensemble

Maisons d’arrêt

Établissements pour peine

Places opérationnelles

56 324

34 063

22 261

Détenus

61 706

41 640

20 066

Surpopulation apparente

5 382

7 577

- 2 195

Places inoccupées (1)

3 913

1 374

2 539

Détenus en surnombre

9 295

8 951

344

% de détenus en surnombre / détenus

15 %

21 %

1,7 %

(1) L’importance du nombre de places inoccupées est, en partie liée à la création de nouveaux établissements dont la mise en service prend un certain temps.

Pour des raisons liées aux problèmes de définition posés par la notion de place en prison et de la complexité des données nécessaires à un diagnostic correct, les comparaisons internationales, dans un tel domaine, ont nécessairement un intérêt limité. Dans la Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE) que nous avons mise en place au début des années 1980, on trouve ainsi la densité carcérale (globale)  de chaque  état.  En se limitant  à l’Union européenne, on recense au 1er septembre 2007, 572 000 places  pour 605 000 détenus soit une densité carcérale globale de 106 pour 100 places. Mais cette densité carcérale varie de 70 détenus pour 100 places en Lettonie à plus de 140 en Espagne : Lettonie (70,4 détenus pour 100 places), Slovaquie (77,9), Pays-Bas (80,8), Roumanie (84,5), Lituanie (86,5), Danemark (89,8), Estonie (90,8), Portugal (93,3), Luxembourg (95), Suède (97,5), Royaume-Uni (97,8), République tchèque (98,2), Finlande (101), Autriche (104) Italie (105), Bulgarie (105),  Slovénie (122), Irlande (132), Allemagne (97,1) Chypre (105), Pologne (118), Belgique (119), France (125), Hongrie (132),  Grèce (142), Espagne (143).

Références

  • Conseil de l’Europe, 2000, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, recommandation N°R (99) 22, adoptée par le Comité des Ministres le 30 septembre 1999 et rapport élaboré avec l’assistance d’André Kuhn, Pierre V. Tournier et Roy Walmsley, coll. Références juridiques, 212 pages.
  • ---, 2006, Les règles pénitentiaires européennes, recommandation Rec (2006) 2, adoptée par le Comité des Ministres le 11 janvier 2006.
  • Tournier, 2007, Dictionnaire de démographie pénale. Des outils pour arpenter le champ pénal, Université Paris 1. Panthéon Sorbonne, Centre d’histoire sociale du XXe siècle, données actualisées au 1er mai 2007, 133 pages.
  • http:// histoire-sociale.univ-paris1.fr/cherche/Tournier/ARPENTER-OUVRAGE.pdf
  • ---,  2008.1, Loi pénitentiaire. Contexte et enjeux, Editions l’Harmattan, coll. Sciences criminelles – Controverses, janvier 2008, 114 pages.
  • ---,  2008.2, Quand nécessité fait loi. Alternatives à la détention : faire des mesures et sanctions privatives de liberté l’ultime recours ? Contribution au débat sur le projet de loi pénitentiaire, Université Aix-en-Provence Marseille 3, Colloques « Enjeux et perspectives de la loi pénitentiaire », 27 septembre 2008,  33 pages.
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Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

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