Drogues et crimes
Publié par BD-SLL
Les substances psychoactives constituent des produits très couramment associés à la perpétration de divers crimes. Bien que les liens drogues-crimes (incluant l’alcool) soient complexes et variables en fonction des personnes et de leur trajectoire de vie, leur compréhension doit nécessairement tenir compte de quatre éléments centraux : 1) l’intoxication de l’infracteur et ses attentes quant aux effets psychopharmacologiques des drogues consommées; 2) son niveau de dépendance à un ou plusieurs produits psychoactifs et les coûts imputables à cette dépendance; 3) son style de vie; et 4) la répression et le système de distribution illicite des drogues.
1) L’intoxication de l’infracteur et ses attentes quant aux effets des drogues
L’intoxication, due à un usage de substances psychoactives, altère le fonctionnement du consommateur en affectant ses perceptions, son humeur, sa conscience et les comportements qui en découlent (Ben Amar, 2007). Selon les principaux effets qu’elles procurent, les drogues licites et illicites se classent généralement en trois grandes catégories : les dépresseurs, les stimulants et les perturbateurs.
Certains dépresseurs (alcool, opiacés, substances volatiles, anxiolytiques, sédatifs, hypnotiques…), surtout l’alcool, auraient des effets désinhibiteurs. Les barrières naturelles introjectées au fil de l’enfance se dissoudraient dans l’alcool laissant ainsi libre cours à l’expression de certaines pulsions, dont les penchants violents de certains d’entre nous (Brochu, 2005). Par ailleurs, durant les périodes d’intoxication, le répertoire de réponses habituelles face à un stresseur se rétrécit au profit de réponses dites primaires, favorisant alors les répliques physiques plutôt que les réparties intellectuelles. Enfin, pour ceux qui en développent une dépendance, le sevrage d’un dépresseur constitue une expérience pénible dans laquelle se retrouvent de l’irritabilité, de l’agitation, une diminution de l’attention et de la concentration, de la confusion et parfois même de l’hypersensibilité à la lumière, aux sons et à la douleur ainsi que des hallucinations (Ben Amar, 2007). Dans certains cas, ces symptômes de sevrage peuvent être associés à des manifestations de violence de la part de la personne qui les ressent.
La deuxième catégorie de substances psychoactives la plus consommée en Amérique du nord est celle des stimulants (cocaïne, amphétamines…) du système nerveux central. Ces drogues produisent généralement une sorte d’euphorie fébrile (Léonard et Ben Amar, 2000). Leurs effets initialement recherchés deviennent toutefois préjudiciables lorsque la sensibilité se transforme en hyper vigilance et que la réactivité extrême face aux stimuli de l'environnement provoque l'agacement, l'impatience et l’irritabilité (Brochu, 2005). Pour les consommateurs qui en font des usages brutaux (injection, «freebase» ou crack pour la cocaïne), les stimulants activeraient des idées paranoïdes (Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, 2002). Confronté à des idées paranoïdes, deux réactions s’imposent : la fuite ou l’attaque. Les stimulants, et plus particulièrement la cocaïne, ont toutefois pour effet d’induire, chez un grand nombre d’usagers, un sentiment de toute puissance favorisant l’affrontement. Enfin, notons que la violence peut également découler de l’irritabilité produite par le « crash » qui se produit à la fin de la période d’intoxication (Brochu, 2005).
Les perturbateurs (cannabis, LSD, PCP, champignons magiques…) forment une troisième catégorie de substances psychoactives. Tel que leur nom l’indique, ces produits induisent des distorsions cognitives et comportementales; dans les cas les plus graves, ils engendrent des hallucinations et du délire (Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, 2002). Les hallucinogènes sont souvent consommés dans le dessein d’atteindre des états similaires aux expériences transcendantales. Ils sont rarement associés à la criminalité ou à la violence, mais leur consommation peut déclencher une psychopathologie latente ou exacerber des problèmes mentaux graves déjà présents chez l’usager, favorisant ainsi le recours à la violence (Brochu, 2005).
Néanmoins, les effets des substances pouvant entraîner des comportements criminels sont, en grande partie, filtrés par les attentes et les attitudes du consommateur. Les attentes se forment avec les observations glanées ici et là au fil du temps et suite aux propres expériences de consommation. Ainsi, l’usager apprendra que telle substance l’apaise et qu’une autre lui permet d’affronter des situations difficiles. Il pourra alors utiliser certaines drogues à des fins instrumentales en fonction de ses attentes personnelles. Par exemple, des contrevenants feront usage de drogues afin de faciliter une opération criminelle déjà planifiée (Brochu et Parent, 2005; Brunelle, 2001). Cela dit, l’attribution de la violence d’un individu à son intoxication ou même à ses attentes requiert une certaine prudence, puisqu’une personne aux penchants agressifs présentera plus de risques de manifester des comportements violents, qu’elle soit intoxiquée ou non (Brochu, 2005).
2) Le niveau de dépendance et les coûts qui y sont associés
Les substances psychoactives illicites sont généralement peu coûteuses. Un usager occasionnel de cannabis ne dépensera pas beaucoup plus pour son produit qu’un usager d’alcool. L’usager récréatif de cocaïne qui se limite à une consommation équivalente à un quart de gramme à l’occasion ne grèvera pas son budget pour autant. De plus, le prix des drogues est généralement demeuré stable au cours des 20 dernières années. Un travailleur qui consomme occasionnellement des drogues pourra aisément intégrer cette dépense dans son budget mensuel.
La situation s’avère fort différente pour les personnes qui ont développé une dépendance. Pour elles, les drogues coûtent très cher ! L’implication criminelle de certains usagers n’arrivant plus à bien gérer leur consommation devenue quotidienne est donc, dans bien des cas, attribuée au besoin d'argent engendré par la dépendance envers des drogues dispendieuses.
De façon générale, ces personnes s’impliquent dans une criminalité lucrative qui se trouve à leur portée. Quoi de mieux pour les consommateurs réguliers que de s’immiscer dans un petit réseau de revente de drogues? En effet, beaucoup d’entre eux s'engagent dans un petit trafic auprès d’amis ou de connaissances, l’élargissant parfois même aux étrangers. D’autres s’orienteront vers les vols ou une criminalité plus diversifiée, mais un élément demeure présent dans le comportement criminel de toutes ces personnes: la recherche d’argent visant à satisfaire une consommation devenue incontrôlable (Brochu et Parent, 2006).
Toutefois, l’ensemble de la criminalité des personnes dépendantes ne peut pas être attribuée uniquement à leur assuétude, puisqu’un bon nombre de toxicomanes étaient déjà bien impliqués dans la criminalité avant même que les premiers symptômes de dépendance se manifestent (Brochu, 2005; Pernanen, Cousineau, Brochu et Sun, 2002).
Par ailleurs, outre la possession de drogues destinée à leur consommation personnelle, plusieurs individus dépendants ne manifesteront jamais de comportements criminels. Alors que certains d’entre eux s’appuieront sur des revenus suffisants pour soutenir leur consommation, d’autres trouveront les moyens pour réduire leur usage, utiliseront des produits de substitution moins coûteux ou arrêteront complètement de consommer le temps de se refaire.
3) Un style de vie
Tous les consommateurs de substances psychoactives n’en font pas un usage abusif au point de s’intoxiquer ou de développer une dépendance, dans le même sens que toutes les personnes intoxiquées ou dépendantes d’une drogue ne basculent pas dans la criminalité. Les deux formes de liens drogues-crimes présentées aux points précédents, c’est-à-dire les crimes commis sous intoxication et dans le but de se procurer une drogue pour satisfaire leur dépendance, bien que procurant un portrait adéquat de la situation des usagers abusifs de substances psychoactives, ne suffisent pas à bien comprendre leur réalité.
La consommation de substances psychoactives constitue un comportement complexe qui s’appuie sur une multitude de facteurs et qui s’allie à une manière de vivre, un style de vie (Brochu, 2005). Or, la substance consommée n’en constitue pas l'élément essentiel. Bien sûr le style de vie des consommateurs réguliers se forge autour de la prise de drogue, mais également en fonction des antagonismes complexes issus des milieux sociaux (plus ou moins accommodants) extérieurs à la drogue. En effet, dans plusieurs milieux, les drogues et leurs adeptes sont symboliquement associés à de nombreuses caractéristiques négatives (immoralité, débauche, déchéance…), plaçant les consommateurs en marge de la société (Brochu et Parent, 2006). Dans ce contexte de marginalité et de déviance, le style de vie emprunté par plusieurs usagers réguliers de substances psychoactives s’ouvre sur un système de vie alternatif, une orientation en regard de l’interdit, une valorisation de certains comportements, un milieu d’identification, tout en permettant l’accession à des formes de plaisir et de sensation souhaitées. Se tisse alors un ensemble de liens complexes qui s’influencent mutuellement. Ce style de vie favorise en quelque sorte une prise de risques accentuée, voire parfois violente, lors des moments d’intoxication et incite à l’utilisation de comportements franchement criminels lors des périodes de dépendance.
Ainsi, la drogue devient à la fois opportunité, prétexte, raison, condition et conséquence de la criminalité s’insérant à l’intérieur d’une façon d’être et de se comporter qui est graduellement acquise et nuancée au cours du parcours de l’usager (Brochu et Parent, 2006).
4) Le système de distribution et d’approvisionnement des drogues illicites
Afin de réprimer la distribution illicite de certaines drogues et son approvisionnement, la très grande majorité des pays a paraphé la Convention unique sur les stupéfiants (1961, modifiée en 1972) et la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes (1988). Ces conventions ont pour objectif de circonscrire par la criminalisation la culture, la production, le trafic, la distribution, de même que la possession ou la consommation de certaines drogues, à l’exception de celles qui sont régulièrement utilisées à des fins médicales ou de recherche, des médicaments prescrits, de l’alcool, du tabac et du café. Sans vraiment apporter une solution pérenne à la circulation et à la consommation des substances illicites, ces conventions ont plutôt engendré de nouvelles catégories de criminels: les usagers et leurs pourvoyeurs qui, dans plusieurs pays, forment une grande partie des affaires occupant le travail policier (Brochu, 2006).
Ces conventions ont, en quelque sorte, ‘forcé’ la mise en place d’un système de distribution et d’approvisionnement illicite des drogues. Ce système favorise à son tour la criminalité de deux principales façons. Primo, le caractère illicite des milieux où se commercent les drogues permet au consommateur d’entrer en contact avec des personnes bien impliquées dans diverses activités criminelles et donc, éventuellement, de se rapprocher de délinquants expérimentés. Secundo, cet environnement appelant de nombreux conflits de territoire entre trafiquants rivaux, les intimidations et la violence y sont omniprésents (Brochu et Parent, 2006).
En somme…
La criminalité reliée à la drogue est d’abord attribuable aux propriétés même des substances consommées : ses propriétés intoxicantes et le développement d’une dépendance pour certains usagers réguliers. Par contre, tous les consommateurs qui vivent l’expérience des drogues, même sous intoxication ou sous l’emprise de la dépendance, ne commettent pas nécessairement des crimes. Le style de vie emprunté constitue un médiateur puissant qui favorise/empêche le recours à la commission de délits. À ceci s’ajoutent deux types de criminalité qui n’ont rien à voir avec les propriétés des drogues. Il s’agit des crimes définis par les lois sur les drogues et de ceux favorisés par les milieux illicites dans lesquels se transige tout produit illégal.
Février 2010
Références
- Ben Amar, M. (2007). Les psychotropes criminogènes. Criminologie, 40 (1), 11-30.
- Brochu, S. (2005). Drogue et criminalité : une relation complexe. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.
- Brochu, S. (2006). L’application de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances au Canada : 1995-2004. Dans Zen-Ruffinen, P. (Ed.) Du monde pénal. Mélanges en l’honneur de Pierre-Henri Bolle. Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel, Collection Neuchâteloise, Bâle, Helbing & Lichtenhahn, 477-482.
- Brochu, S., et Parent, I. (2006), Les flambeurs: trajectoire d'usagers de cocaïne, Ottawa : Les Presses de l'Université d'Ottawa.
- Brunelle, N. (2001), Trajectoires déviantes à l'adolescence: Usage de drogues illicites et délinquance, Thèse de doctorat inédite, Montréal : Université de Montréal.
- Comité spécial du sénat sur les drogues illictes (2002). Le cannabis : positions pour un régime de politique publique au Canada, Ottawa : Sénat du Canada.
- Léonard, L., et Ben Amar, M. (2000), « Classification, caractéristiques et effets généraux des substances psychotropes », dans Brisson, P. (Éd.), L'usage des drogues et la toxicomanie, Montréal : Éditions Gaëtan Morin, Vol.III, p. 121-174.
- Pernanen, K., Cousineau, M.M., Brochu, S., Sun, F. (2002). Proportions des crimes associés à l'alcool et aux drogues au Canada. Ottawa : Centre canadien de lutte à la toxicomanie.