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Traite des personnes

 

La communauté internationale est présentement inquiète de l’augmentation de l’immigration irrégulière, particulièrement lorsqu’elle implique l’exploitation d’êtres humains comme c’est le cas de la traite des personnes. Si le phénomène de la traite des personnes a suscité beaucoup d’attention ces dernières années, il n’est pas nouveau. En effet, les États élaborent depuis un certain temps des lois, des conventions et des accords bilatéraux et régionaux pour faire face à ce problème. De nombreux instruments juridiques datant de la fin du XIXe siècle et après ont tenté de répondre aux diverses formes et manifestations de la traite. Entre 1815 et 1957, quelque 3001 accords internationaux2 ont été adoptés pour supprimer l’esclavage sous ses diverses formes, y compris la traite des personnes.

Plus récemment, dans l’année 2000, la communauté internationale a adopté le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants3. Dorénavant, les mesures de prévention et de répression de la traite des personnes à des fins d’exploitation sont prévues par cet instrument juridique international qui est entré en vigueur en décembre 2003. Les États Parties au Protocole on adopté une définition4 de la traite des personnes qui se traduit par:

En vertu du Protocole relatif à la traite, la traite des personnes comprend deux éléments principaux. La traite est caractérisée par le «caractère forcé» de l’activité, car l’implication des personnes est faite de manière «forcée» ou «coercitive» ou en «absence de libre consentement». En outre, «l’exploitation» de la personne est un élément constitutif de la traite. Ces éléments sont fondamentaux afin de distinguer la «traite des personnes» de la notion du «trafic illicite de migrants» qui est à son tour défini par le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée5 de la façon suivante : «le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État6».

La principale réussite de l’adoption du Protocole contre le trafic et du Protocole contre la traite est que les États Parties sont parvenus à établir deux définitions et ainsi donner naissance à une distinction entre le trafic de migrants et la traite de personnes (Jimenez, 2009). Lorsqu’on examine les deux Protocoles additionnels à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, on dénote que la première différence touche les personnes qui en sont l’objet. Dans le cas de la traite, on les considère comme des «victimes» de l’infraction de la traite et dans de nombreux cas, d’autres infractions (prostitution, agression sexuelle, esclavage, etc). Dans le cas du trafic illicite, ce sont des «migrants illégaux» objet du trafic. Dans le cas de la traite, l’activité porte toujours atteinte aux droits fondamentaux des personnes qui en font l’objet. Les individus pris dans la traite sont victimes de coercition et d’exploitation (Brolan, 2002). D’ailleurs, les victimes sont souvent exploitées à répétition (Blackell, 2001). D’un angle victimologique, cette distinction terminologique a une importance capitale, notamment d’un point de vue d’assistance et de protection vis-à-vis de l’individu qui en fait l’objet. En effet, les victimes de la traite sont mieux protégées par le Protocole relatif à la traite que les migrants objet de trafic par le Protocole relatif au trafic (Jimenez, 2009, 2010).

Une autre différence fondamentale entre les deux concepts est «l’exploitation» et «l’abus» de la personne dans le cas de la traite et non «l’avantage financier» qui découle de «l’immigration illégale» dans le cas du trafic. Si dans le cas du trafic, l’élément «exploitation de la personne» est absent, cette exploitation est un élément constitutif de la traite, car une fois arrivées à destination, les victimes de la traite demeurent en captivité sous le contrôle d’une ou plusieurs personnes ou d’une organisation criminelle et sont soumises à des conditions d’esclavage (Jimenez, 2009, 2010).  D’ailleurs, si ce sont surtout des hommes qui font l’objet du «trafic illégal des migrants», dans la majorité des cas de la traite, ce sont des femmes et des enfants (Gallagher, 2002). Par ailleurs, lorsque des enfants7 sont impliqués, ceci est normalement considéré comme de la traite, sauf si le voyage est fait en famille, car en règle générale, on estime qu’il ne peut y avoir de consentement de la part d’un mineur (Jimenez, 2009,2010).

Le tableau suivant synthétise la définition de la traite des personnes telle qu’adoptée par les États membres du Protocole contre la traite.

Toutefois, si les États définissent juridiquement la «traite des personnes» et le «trafic illicite des migrants», la différence entre un concept et un autre n’est pas toujours évidente en pratique. De ce fait, les victimes de la traite risquent d’être confondues avec de «simples» migrants irréguliers objet du trafic et non comme de victimes de la traite. En conséquence, elles risquent d’être dépossédées des mesures de protection et d’assistance qu’elles méritent (Jimenez, 2009, 2010).

Selon ce qui précède, en vertu du Protocole relatif à la traite, «l’exploitation» de la victime est une condition sine qua non de la définition de la traite des personnes. Mais les États n’ont pas dressé une liste8 exhaustive ni complète des moyens d’exploitation, au contraire, ils ont délibérément laissé la porte ouverte à d’autres formes des «pratiques analogues» à l’exploitation sexuelle ou au travail forcé. Bien que la traite des personnes à des fins de prostitution ou autre forme d’exploitation sexuelle soit largement dénoncée et que la communauté internationale se mobilise de façon importante pour la combattre, les États Parties au Protocole n’ont pas inclus de façon expresse et explicite le mariage forcé dans la définition de la traite. Or, la traite de femmes, et notamment de filles dans un but de mariage forcé est une réalité inquiétante qui est encore peu explorée. En effet, l’Organisation des Nations Unies confirme que des pratiques culturelles telles que les mariages arrangés, précoces ou forcés contribuent à alimenter la traite des personnes (UNGIFT, 2009).

Ainsi, la traite des femmes et des filles peut également avoir lieu dans un but de mariage forcé. Lorsque le mariage n’est pas consenti et que la femme est victime d’exploitation, le mariage forcé peut également être considéré comme une finalité de la traite. Dans le cas de la traite à des fins de mariage, l’exploitation peut comprendre notamment le mariage précoce, le mariage servile, les différentes formes de mariage arrangé comme moyen de régler une dette ou un différend familial ou de réparer un crime, le mariage provisoire, ou le mariage à des fins de procréation (USA, 2009).

La clandestinité des réseaux de traite des personnes, la réticence des victimes à signaler les crimes aux autorités, la difficulté que pose l’identification des victimes et la nature délicate des données constituent de véritables obstacles à la collecte de données fiables sur la traite des personnes (Ogrodnik, 2010). Toutefois, la traite des personnes est considérée comme un véritable phénomène mondial. Selon les données rapportées par l’UNODC en 2010, des victimes d’au moins 127 pays ont été détectées dans 137 pays. Les chiffres démontrent que les femmes et les filles sont proportionnellement plus nombreuses  à être victimes que les hommes (UNODC, 2010). En 2009,  66% femmes et 13% filles et 12% hommes et 9% garçons furent victimes de la traite (UNODC, 2009). L’exploitation sexuelle est de loin la forme de traite la plus communément détectée (79 %), suivie par le travail forcé (18 %), en comparaison d’autres formes d’exploitation qui sont moins signalées comme le travail forcé, la servitude domestique, le mariage forcé, le prélèvement d’organes et l’exploitation d’enfants contraints de mendier ou de faire la guerre (UNODC, 2009). Les hommes et des jeunes garçons sont avant tout victimes de travaux forcés dans les secteurs de l’agriculture, de la construction et de l’industrie du textile (Oxman-Martinez et al. 2008).

La traite des personnes est considérée un problème à facettes multiples qui touche plusieurs dimensions comme l’immigration irrégulière, le déplacement forcé de travailleurs migrants et de populations, le système de protection des réfugiés, la violation des droits de la personne et la criminalité transnationale organisée. La traite des personnes, en raison de l’exploitation qui en découle, est considérée comme étant le moyen le plus dangereux parmi les multiples formes d’immigration irrégulière, dû à sa complexité, son ampleur et au fait qu’elle est souvent liée à l’abus de femmes et de filles, et à la prostitution, par exemple. C’est la raison pour laquelle la traite des personnes est qualifiée d’esclavage moderne (UNODC, 2009; Oxman-Martinez et Hanley, 2007) et une forme de violence sexuelle ou du genre (HCR, 2006). La pauvreté, l’instabilité politique, l’inégalité entre les sexes et les disparités entre les pays sont considérées comme des facteurs favorisant la pratique de la traite de personnes. Facteurs de risques dont les États devraient impérativement tenir compte afin de prévenir et enrayer le phénomène et protéger les victimes de la traite.

Notes

1. Principes directeurs sur la protection internationale no. 7: Application de l'Article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés aux victimes de la traite et aux personnes risquant d'être victimes de la traite, Doc. Off. HCR NU, 2006, Doc. NU HCR/GIP/06/07.

2. Consulter entre autres : Convention internationale relative à la répression de la traite des blanches, signée à Paris le 4 mai 1910, et amendée par le Protocole signé à Lake Success (New York), 4 mai 1949, 98 R.T.N.U. 101 (entrée en vigueur : 14 août 1951) ; Convention relative à l’esclavage, 25 septembre 1926, 60 R.T.N.U. 255 (entrée en vigueur : 9 mars 1927) ; Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, 21 mars 1950, 96 R.T.N.U. 271 (entrée en vigueur : 25 juillet 1951) ; Convention supplémentaire de relative à l’abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, 7 décembre 1956, 266 R.T.N.U. 3 (entrée en vigueur : 30 avril 1957).

3. Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, 15 novembre 2000, 2237 R.T.N.U. 319 (entrée en vigueur : 25 décembre 2003) [Protocole relatif à la traite].

4. Protocole relatif à la traite, art. 3 par. a).

5. Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, Doc.A/55/383, adopté par la résolution A/RES/55/25 le 15 novembre 2000 et entré en vigueur le 28 janvier 2004 (ci-après Protocole contre le trafic).

6. Protocole contre le trafic, art.3.

7. Protocole relatif à la traite, art. 3 par. c).

8. Protocole relatif à la traite, art. 3 par. a).

 

Références 

  • Blackell, Gillian (2001). Blackell,. «The Protocols on Trafficking in Persons and Smuggling in Migrants», dans The Changing Face of International Criminal Law, The International Centre for International Criminal Law Reform and Criminal Justice policy, Juin, pp. 105-124 .
  • Brolan, Claire (2002). «An Analysis of the Human Smuggling Trade and the Protocole Agains Smuggling of Migrants by Land, Air and Sea (2000) from a Refugee Protection perspective», International Journal Refugee Law14(4).
  • Jimenez, Estibaliz (2009). «La distinction problématique entre la traite des personnes et le trafic de migrants risque de laisser sans protection les victimes de la traite», dans Laviolette, N., Poulin R., Prostitution et traite des êtres humains, enjeux nationaux et internationaux. Enjeux nationaux et internationaux, Éditions L’Interligne, Ottawa,  p.113-141.
  • Jimenez, Estibaliz (2010). Le combat contre le trafic des migrants au Canada : Contrôle migratoire d’abord, lutte au crime organisé ensuite, Berlin, Éditions Universitaires Européennes, p.458
  • Gallagher, Anne (2002). « Trafficking, smuggling and human rights: tricks and treaties », Forced Migration Review (12), p. 25-28.
  • UNGIFT (2009), Combattre la traite des personnes, Guide à l’usage des parlementaires n°16.
  • UNODC (2009). Rapport mondial sur la traite des personnes. Résumé analytique, Février 2009.
  • UNODC (2010), The globalization of crime. A Transnational Organized Crime Threat Assessment.
  • Oxman-Martinez, Jacqueline et Hanley, Jill  (2007). Traite des personnes. Montréal: Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes (CRI-VIFF).
  • Oxman-Martinez, Jacqueline; Jimenez, Estibaliz; Hanley, Jill (2008). "Trafficking in Men: an Exploration of an Overlooked Phenomenon", dans Chandana, G., Human Trafficking: A Socio Legal Study, Amicus Books, The ICFAI University Press. India, 2008, p. 25-72.
  • USA (2009). Department of State, Trafficking in persons report  2009.
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Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

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