Immigration irrégulière
Publié par BD-SLL
La mondialisation économique, y compris l’avancement rapide des technologies de l'information, de communication et de transport, a été accompagnée d’une augmentation importante de la migration internationale, dont irrégulière, et de la criminalité transnationale. L’immigration irrégulière, également appelée «immigration illégale» ou «immigration clandestine», comprend le mouvement international des personnes à travers les frontières contrairement à la législation du pays de transit ou de destination. L’immigration irrégulière implique donc l’entrée et/ou le séjour d’une personne dans un pays dont il n’est pas originaire, sans avoir d’autorisation officielle préalable.
Il existe actuellement une croissance du nombre de personnes forcées ou prédisposées à partir à l’étranger en faisant appel aux moyens illégaux. L’immigration irrégulière apparaît comme une procédure alternative d’entrée pour ceux qui ne remplissent pas les conditions requises, ceux qui auraient à attendre trop longtemps pour obtenir un visa d’immigration, ou encore ceux pour lesquels l’immigration clandestine est moins coûteuse. Dans une situation où les possibilités légales d’entrée et de séjour sont restreintes, l’entrée illégale est souvent la seule option qui s’offre aux candidats à la migration et aux demandeurs d’asile qui fuient la persécution.
Formes d’immigration irrégulière
Si l’immigration irrégulière est présentée comme une réalité unique et homogène, elle recouvre en fait une diversité de catégories d’étrangers en situation irrégulière. Les situations d’irrégularité les plus nombreuses ne découlent pas de franchissements illégaux des frontières. Seule une minorité pénètre illégalement. La majorité des migrants irréguliers entrent légalement munis d’un visa et l’irrégularité de leur séjour n’intervient que dans un second temps (Marie, 2004).
Il est possible de catégoriser l’immigration irrégulière selon la méthode d’entrée et le statut à l’intérieur du pays (Jimenez, 2007). Tout d’abord, il y a la catégorie légale-illégale. Dans cette catégorie, le migrant entre au pays de façon légale, mais pour diverses raisons, son statut change. Entre autres, le migrant peut entrer sur le territoire accompagné d’un titre de voyage valide tel un visa de touriste, un visa d’étudiant ou un permis de travail, mais à l’expiration de ce titre, le migrant demeure au pays et voit son statut légal changer. D’autres peuvent utiliser le titre obtenu à d’autres fins (occupation d’un emploi avec un simple visa de touriste, par exemple). Se rajoutent à cette catégorie les demandeurs d’asile déboutés qui après le rejet de leur demande refusent de se soumettre à l’ordonnance de renvoi vers leur pays d’origine. Deuxièmement, la catégorie illégale-légale, où les migrants entrent dans le pays en contournant les lois d’immigration (entrée clandestine évitant les contrôle des voyage et d’immigration, usage du faux passeport ou recours aux passeurs ou aux trafiquants) et une fois à l’intérieur du pays, régularisent leur statut (par exemple, le migrant revendique le statut de réfugié). Finalement, dans la catégorie illégale-illégale, le migrant entre illégalement dans le pays et son statut demeure illégal. Le migrant vit et travaille clandestinement.
L’entrée irrégulière dans un pays comprend souvent l’assistance et l’implication de personnes qui savent comment se procurer de faux passeports ou savent comment contourner le processus légal d’entrée. Lorsque les migrants sont assistés par une tierce personne ou un groupe de personnes, parfois impliquées dans la criminalité organisée, on peut généralement se référer à la traite des personnes ou au trafic de migrants. On constate un recours de plus en plus fréquent aux passeurs et aux trafiquants qui semble traduire la confiance soutenue des migrants envers ceux-ci (Kyle et Liang, 2001). Les réseaux de passeurs et de trafiquants se sont développés essentiellement en réponse à la fermeture de plus en plus marquée des frontières des pays occidentaux et au besoin impérieux d’émigrer ressenti par de plus en plus de citoyens des pays d’origine, malgré des coûts et des risques accrus (Jimenez, 2007).
Les définitions et la distinction entre les termes de trafic de migrants et de traite des personnes donnent lieu à de nombreux débats entre les chercheurs et les spécialistes du domaine, et est une source de confusion. Cette confusion diminue considérablement avec la terminologie et la conceptualisation adoptées par les États parties aux Protocoles facultatifs à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée. Le Protocole contre la traite1, dans son article 3, définit la traite de personnes de la manière suivante :
a) L’expression «traite de personnes» désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant l’autorité sur une autre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autrui ou autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavages, la servitude ou le prélèvement d’organes; b) le consentement d’une victime de la traite des personnes à l’exploitation envisagée, telle qu’énoncée à l’alinéa a) du présent article, est indifférent lorsque quelconque des moyens énoncés à l’alinéa a) a été utilisé.
De son côté, Le Protocole contre le trafic2, dans son article 3, établit :
L’expression «trafic illicite de migrants» désigne le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un État partie d’une personne qui n’est ni un ressortissant ni un résident permanent de cet État.
Toutefois, si de façon théorique il y a une récente consolidation de la standardisation des termes et définitions, dans la pratique et sur le terrain, il existe encore une difficulté pour établir la distinction entre la traite des personnes et le trafic des migrants (Jimenez, 2009).
L’ampleur du trafic de migrants
Étant donné le caractère et la nature clandestine de l’immigration irrégulière, il est impossible de calculer avec précision la taille et l’ampleur du passage irrégulier des frontières car par définition, l’immigration clandestine et le trafic de migrants échappent à l’enregistrement et à la statistique. Les estimés dépendent également des différentes définitions données aux concepts de crime organisé, de trafic et de traite. Cependant, l’activité commerciale du trafic de migrants est considérée comme plus développée que celle de la traite des personnes.
Malgré la difficulté à évaluer l’ampleur du trafic de migrants, il est incontestable que le trafic de migrants à l’échelle mondiale a augmenté rapidement depuis le début des années 90 et il est devenu officiellement un «problème mondial». Selon quelques estimés, il existe actuellement 200 millions de migrants dans le monde, dont, selon le calcul de l’organisation des Nations Unies, 15 millions ont été transportés par des passeurs professionnels. Le trafic de migrants implique quatre millions de personnes et sept milliards de dollars annuellement à travers le monde3. En Europe, les cas d’immigration illégale les plus nombreux ont été rapportés par la Grèce, l’Italie, l’Espagne et la France, qui représentent, ensemble, 80 pour cent du nombre total de cas de la région4. En 2007, 3633 cas d'entrée illégale ont été détectés en Belgique et 5 748 en France5. Au Canada, on estime qu’il y aurait entre 200 000 et 500 000 personnes sans papiers6. Selon la Alien Smuggling Unit du Department of Justice des États-Unis7, la contrebande des personnes du Canada vers les États-Unis représente environ 10 milliards de dollars par année. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) estime qu'entre 8 000 et 16 000 personnes entrent chaque année au pays avec l'aide de passeurs clandestins8.
Tous ces chiffres, qui sont majoritairement des estimations, sont imprécis et représentent une image partielle de la nature du phénomène, car l’information est notamment rassemblée par des forces de l’ordre (des agents frontaliers et d’immigration) et parfois elles reflètent uniquement des cas d’immigration irrégulière qui ont échoués. Les statistiques actuellement disponibles proviennent des cas d’interception, d’arrestations aux frontières, des dossiers judiciaires ou même des découvertes des corps sans vie des migrants.
L’immigration irrégulière source de préoccupation pour les États
Lorsque les flux de migrants ont commencé à arriver, les États ont défini le phénomène comme un problème où les migrants et les demandeurs d’asile sont perçus comme une menace pour la sécurité nationale et la stabilité des pays d’accueil. L’immigration irrégulière s’avère une problématique où s’entrecroisent les inquiétudes contemporaines relatives à la diversité ethnique et sociale, au multiculturalisme, à la croissance de la population, à la corruption politique, au crime transnational, aux abus des droits de la personne et à l'incapacité des agences de l'État et des organisations internationales de contrôler le tout efficacement. Elle est perçue également par les États de destination comme une forme d’abus du système d’immigration et du régime de protection des réfugiés (queue jumping), où les migrants et les demandeurs d’asile n’attendent pas leur tour. D’ailleurs, une fois arrivés à destination, le marché de travail clandestin constitue la seule opportunité de revenu pour les immigrants en situation irrégulière.
Le climat autour du thème de l’immigration n’a cessé de se dégrader, notamment après les attentats terroristes du 11 septembre 2001 (Crépeau. F et Jiménez, E, 2002). Les migrants irréguliers, non documentés ou sans autorisation, de même que les demandeurs d’asile, sont considérés comme des «étrangers non désirés». Partout, ils se heurtent à la méfiance et à la suspicion. L’idée se répand que l’immigration constitue plus qu’une contrainte, une menace (Marie, 2004). Les discours sur l’invasion, l’insécurité et la perte d’identité s’intensifient.
La migration irrégulière et les activités croissantes des passeurs de clandestins empiètent sur la prérogative des gouvernements de décider qui ils autorisent à entrer et à séjourner sur leur territoire (Spener, 2001). Elle peut mettre en péril les relations avec les autres États. Après les événements du 11 septembre, le Canada a été la cible de plusieurs critiques (Crépeau, F. et Jiménez, E., 2002). Plusieurs pays l’ont accusé d’être une « passoire » pour les terroristes et d’avoir des lois d’immigration trop laxistes. Les critiques les plus sévères vinrent des États-Unis. Toutefois, des experts gouvernementaux canadiens estiment ces critiques non fondées.
Bien que la participation des groupes criminels organisés dans le trafic de migrants et la traite des personnes est débattue par une partie de la doctrine, l’idée que le trafic de migrants et les groupes criminels sont étroitement liés est relativement répandue parmi les politiciens, les organisations d’application de la loi et les législateurs. Ce lien établi entre le trafic de migrants, la traite des personnes et le crime organisé, légitime et justifie la lutte contre l’immigration irrégulière.
L’immigration irrégulière, notamment lorsqu’on parle du trafic des migrants et de la traite des personnes, est également une source de préoccupations pour les États, car elle peut conduire à la victimisation des migrants et aux violations des droits de la personne. Chaque année des milliers des vies humaines sont sacrifiées dans leur tentative d’atteindre une nouvelle vie. Selon la revue de presse de Fortress Europe9, 14.921 immigrés sont morts aux frontières de l'Europe depuis 1988, dont 6.469 ont disparus en mer. 10.925 migrants ont perdu la vie en mer Méditerranée et dans l'Océan Atlantique le long des routes pour les îles Canaries. Et au moins 1.691 sont morts en traversant le désert du Sahara. Les États dénoncent également qu’une fois arrivés à destination, les migrants se trouvent sous l’emprise des trafiquants et sont souvent victimes d’abus et d’exploitation.
En somme
La convergence de l'aggravation des disparités économiques, des conflits civils, de la violation des droits humains et de l'accroissement des moyens de communication et de transport a eu l’effet d’augmenter le nombre de migrants et de demandeurs d’asile qui arrivent dans les pays industrialisés, dont de nombreux par des moyens irréguliers. Percevant un abus du système d’immigration et d’asile, les dirigeants des pays occidentaux renforcent les contrôles aux frontières. Si les États ont adopté et investi dans les mesures répressives de contrôle migratoire, la protection et l’assistance des migrants et des réfugiés trafiqués n’apparaissent pas comme une priorité. Or, les migrants et les réfugiés qui ont recours aux trafiquants se placent dans une situation de vulnérabilité et risquent d’être victimisés et exploités par leur passeur.
Février 2010
Notes
1. Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies, dans sa résolution A/RES/55/25 du 15 novembre 2000 ; entré en vigueur en vigueur en décembre 2003. Disponible à l’adresse suivante : http://www.uncjin.org/Documents/Conventions/dcatoc/final_documents_2/convention_%20traff_french.pdf.
2. Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, Doc.A/55/383, adopté par la résolution A/RES/55/25 le 15 novembre 2000 et entré en vigueur le 28 janvier 2004. Texte disponible à l’adresse Internet suivante :
http://www.uncjin.org/Documents/Conventions/dcatoc/final_documents_2/convention_smug_french.pdf.
3. United Nations Strategies against Transnational Organized Crime, Keynote Address by Pino Arlacchi Under-Secretary-General Executive Director to the Plenary Session of the Asia-Pacific Law Enforcement Conference Against Transnational Organized Crime, Japan, 30 January 2001. Texte disponible à l’adresse Internet suivante: http://www.unodc.org/unodc/speech_2001-01-30_1.html.
4. Frontex, Rapport général 2007 de Frontex, 2008 http://www.frontex.europa.eu/gfx/frontex/files/justyna/frontex-2008-0011-00-00-enfr.pdf.
5. Ibid.
6. Radio-Canada, Canada, Immigration : Les nouveaux visages de l'esclavage, mise à jour le avril 2006. Texte disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.radio-canada.ca/radio/sansfrontieres/72250.shtml.
7. Fife, Robert, «U.S. Attorney General Calls for Cracdown on Human Smuggling», Toronto, The National Post, 21 juin 2001.
8. Gendarmerie royale du Canada, 2005 (non publié).
9.Fortress Europe, Immigrés morts aux frontières de l’Europe, http://fortresseurope.blogspot.com/2006/01/forteresse-europe.html, 14 janvier 2010, (dernière consultation 12 février 2010).
Références
- Crépeau, François, Jimenez, Estibaliz. « L’impact de la lutte contre le terrorisme sur les libertés fondamentales au Canada », dans Bribosia, Emmanuelle, Weyerbergh, Anne (ss. la dir), Lutte contre le terrorisme et droits fondamentaux, collection « Droit et Justice », Bruxelles, Bruylant, 2002.
- Jimenez, Estibaliz, «La distinction problématique entre la traite des personnes et le trafic de migrants risque de laisser sans protection les victimes de la traite», dans Laviolette, N., Poulin R., Prostitution et traite des êtres humains, enjeux nationaux et internationaux. Enjeux nationaux et internationaux, Éditions L’Interligne, Ottawa, janvier 2009, p.113-141.
- Jimenez, Estibaliz, Le combat contre le trafic des migrants au Canada : Contrôle migratoire d’abord, lutte au crime organisé ensuite, Thèse de doctorat, École de criminologie, Université de Montréal, 2007.
- Kyle, David, Liang, Zai. Migrant Merchants: Organized Migrant Trafficking from China and Ecuador, The Center for Comparative Immigration Studies (CCIS), University of California, San Diego, Working Paper 43, October 2001.
- Marie, Claude-Valentin. Prévenir l’Immigration Irrégulière : Entre impératifs économiques, risques politiques et des droits des personnes, Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, janvier 2004.
- Spener, David, «Smuggling Migrants through South Texas : Challenges Posed by Operation Rio Grande», dans Kyle and Koslowski, Global Human Smuggling in Comparative Perspective, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, pp. 129-165, 2001.