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Formation policière

Auteur: 
Alain, Marc
Auteur: 
Désaulniers, Marc
Auteur: 
Brassard, Pierre


À l’heure de la professionnalisation de la fonction policière en Occident, la question de l’adéquation du continuum de formation avec cette fonction se pose plus que jamais. Il est clair que les enjeux d’une complexification croissante de ce que l’on attend de la police remettent en cause l’idée même d’un continuum de formation essentiellement orienté en fonction des connaissances techniques du métier, la question n’étant plus de savoir jusqu’à quel point une formation d’un tel ordre est maintenant dépassée, mais bien de positionner adéquatement les dispositifs de formation pour répondre à ces modifications fondamentales.

À cet égard, on peut distinguer essentiellement deux grands types de modèles de formation, selon qu’ils sont, comme en France par exemple, très centralisés ou qu’ils sont, comme c’est notamment le cas aux États-Unis, extrêmement disparates et décentralisés. On pourrait alors comprendre qu’entre ces deux pôles se retrouveront des modalités de formation au diapason des modalités de déploiement des forces policières elles-mêmes. Ainsi, si la France présente une modalité de déploiement centralisée et uniforme, la formation de base donnée aux policiers l’est donc d’autant, tandis qu’à l’inverse, dans un pays marqué par un très grand nombre d’organisations policières très différentes les unes des autres comme c’est le cas aux États-Unis et en Italie, il demeure logique d’y retrouver des modalités de formation policière toutes aussi différentes d’un endroit à un autre.

Le cas de la formation policière en Allemagne pourrait ainsi être présenté comme relevant d’une situation un peu mitoyenne. En effet, il revient à chacun des Länder de pourvoir leur propre faculté universitaire technique qui, au terme d’une formation de trois ans, diplômeront les officiers de police ensuite engagés dans le service policier du Land :

« L’insistance mise à doter l’encadrement policier d’une formation solide appuyée sur des bases scientifiques, visait à réduire la clôture traditionnelle de l’institution sur elle-même et à lui donner les moyens de s’adapter de façon souple dans une période de changements socio-culturels extrêmement rapides. Cet objectif a d’ailleurs été atteint, dans la mesure où la formation de l’encadrement intermédiaire dans les écoles professionnelles supérieures et l’intégration dans les enseignements d’un large éventail de connaissances scientifiques en provenance de disciplines aussi diverses que le droit, la psychologie, la criminologie et la sociologie a donné à de nombreux policiers une ouverture d’esprit et une compréhension des phénomènes sociaux qui manquaient aux générations précédentes. » Funk et Reinke, 1992 : 54.

Pour les officiers qui, au terme des divers concours, accéderont au service de police fédéral, une mise à niveau leur sera donnée au sein d’une faculté universitaire elle aussi, de niveau fédéral. Or, toujours dans le cas de l’Allemagne, il est notoire que la réunification avec l’ex Allemagne de l’est n’a pas été sans remettre quelque peu en question l’uniformité du continuum de formation (Funk et Reinke, 1992): ces Länder ont du rapidement instaurer leur propre faculté universitaire technique qui n’ont en fait d’universitaire que le nom, celles-ci étant généralement des anciennes académies militaires, et où on a tout simplement changé l’uniforme des instructeurs. Les policiers formés dans ce contexte se retrouvent en situation de carence de connaissances et de compétences lorsqu’ils parviennent au niveau fédéral, la faculté ayant alors du concevoir toute une série de mises à niveau destinées aux recrues provenant des Länder de la partie anciennement communiste du pays. Outre la question de ces disparités, le modèle de formation policière allemand demeure également relativement dispendieux; en effet, les futurs officiers de police devront, avant d’être admis à la faculté, occuper une fonction subalterne au sein des polices des Länder pendant quelques années. Une fois admis à la faculté, les recrues conserveront leur salaire de cadet pendant les trois années de formation; ce n’est qu’une fois passé les concours d’admission comme officier, à un âge significativement plus élevé que dans le cas des policiers d’Amérique du nord, par exemple, que leur condition salariale rejoindra celles de leurs collègues de pays comparables.

Le cas de l’Allemagne, tout comme celui de plusieurs pays scandinaves, pose tout entier la question de la pertinence d’une formation de niveau universitaire et de son adéquation avec les défis contemporains qui se posent à la police : s’agit-il de la voie royale à emprunter? La question s’est posée et se pose encore d’ailleurs au Québec, où plusieurs mandats ont été confiés au cours des dernières années afin de vérifier la pertinence de hausser le calibre de la formation qui y est donnée pour les futurs policiers et les policiers en devoir. Ainsi, on retrouvera des recommandations en ce sens tant dans le rapport Bellemare (1996), que le rapport Corbo (1997) et que le rapport de la Commission Poitras (1998), portant plus spécifiquement dans ce cas ci à une seule institution policière, soit la Sûreté du Québec. Jusqu’à un certain point, on pourra reconnaître qu’il s’agit là d’une question plus typique des systèmes de police qui ne recourent pas aux entrées latérales et où l’accession aux fonctions supérieures se fait presque exclusivement par voie d’ancienneté. En effet, et ici on peut spontanément penser au cas de la France, on pourra très bien exiger un diplôme universitaire pour les fonctions dites supérieures – celle de commissaire divisionnaire, par exemple – étant entendu que les concours d’accès sont ouverts sur la base de cette exigence précise et non de celle d’une expérience préalable de la fonction policière, comme c’est plus généralement le cas en Amérique du nord.

Pour en revenir au cas du Québec, la base de la formation y est assez similaire à celle que l’on retrouve dans la plupart des pays occidentaux et mis à part les cas de l’Allemagne et des pays scandinaves dont nous avons fait état, soit l’équivalent d’un diplôme technique collégial. À l’heure actuelle, ce sont 12 institutions collégiales (11 francophones et 1 anglophone) qui dispensent les cours de la formation de base en technique policière :

« Le contenu des programme est conçu selon l’approche par compétences, qui vise à développer les aptitudes des étudiants à s’acquitter des tâches spécifiques au travail policier. Les méthodes pédagogiques mobilisées font appel à des mises en action concrètes (simulations, reconstitutions et études de cas) et à des liens avec le monde de la pratique (stages et bénévolat) Ces cours techniques sont complétés par des cours plus théoriques de criminologie, de sociologie, de psychologie, de droit et de littérature, destinés à sensibiliser les étudiants à la diversité de la société québécoise, à l’importance de l’intervention auprès des victimes, aux diverses formes de criminalité, aux techniques de prévention et de résolution de problèmes, ainsi qu’aux pouvoirs et aux devoirs légaux attachés à la fonction policière. » Dupont et Pérez, 2006 : 68.

Les 12 institutions réparties à travers le Québec vont former environ 950 diplômés par année. Et ce sont entre 650 et 700 de ces 950 diplômés qui accéderont au stade final de la formation qualifiante de base qui est donné, dans ce cas, en exclusivité en un seul endroit, soit à l’École nationale de police du Québec (ENPQ).

Mais avant de détailler davantage cette dernière étape de la formation qualifiante initiale des patrouilleurs en uniforme, il convient de souligner qu’au Québec et au contraire de plusieurs autres endroits ailleurs dans le monde, la profession policière est extrêmement populaire et recherchée : on y fait de bons salaires, les taux de placement au terme de la formation de base atteignent près de cent pour cent et on peut prétendre à la retraite après 25 ans de service, soit à un âge où une seconde carrière est tout à fait envisageable, ce qui ouvre la possibilité de cumuler un nouveau salaire et une rente de retraite déjà fort généreuse. Il est dès lors peu surprenant de constater qu’à l’entrée du cursus, quatre demandes sur cinq sont rejetées et que seulement un candidat sur vingt parviendra à décrocher le diplôme [1].

Si l’on peut penser que ce niveau élevé de compétition garantira que seuls les meilleurs candidats et candidates passeront au travers du processus, on pourra également penser qu’en revanche, il se créera un niveau d’attente tout aussi élevé (Alain et Grégoire, 2008; Alain et Baril, 2005a, 2005b). Or, compte tenu du fait que la structure de fonctionnement de l’organisation policière est composée à près de 75% de policiers qui demeureront tout au long de leur carrière aux premiers niveaux hiérarchiques, des déceptions sont d’autant plus susceptibles de marquer les premiers pas de nos recrues, à qui on a jamais manqué de rappeler, tout au long de leur formation, à quel point ils constituent une élite, aspirant donc ainsi aux plus hautes fonctions de la hiérarchie (Alain, 2010). Notons qu’un tel phénomène n’est pas exclusif au Québec (il a été fort bien documenté en Australie par Chan, 2003) et on le retrouve également dans d’autres professions où l’accès à la formation qualifiante est très contingenté (Dubar, 2000; Dubar et Tripier, 2003).

Pour en revenir à la formation donnée par l’ENPQ, et comme la plupart des organisations policières s’attendent à ce que les recrues performent au plus haut niveau possible dès leur embauche [2], les éléments abordés pendant le stage de 15 semaines s’enchaînent les uns aux autres à un rythme rarement observé dans la réalité. En fait, le programme développé à l’ENPQ tente de résoudre le dilemme créé par la nécessité de donner aux candidats le maximum de compétences en un court laps de temps, tout en maintenant un certain réalisme au niveau des situations simulées qui sont offertes aux apprenants. On pourra comprendre que ce dilemme explique en partie le fait que plusieurs recrues se disent déçues par certains aspects plus répétitifs et routiniers de la fonction policière (Alain et Baril, 2005).

Il existe, pour clore ce court article, toute une série de modalités de formation continue en emploi, destinée exclusivement ou non, aux policiers en exercice. En effet, et ce depuis l’instauration de la toute dernière mouture de la Loi sur la police en 2000, on exige une formation qualifiante additionnelle pour tout policier aspirant à passer au domaine des enquêtes  et éventuellement aussi à celui de la gestion/direction. Dans ces deux cas, il s’agit de formations qui, données en alternance travail-études, sont sanctionnées par un diplôme universitaire. Les contenus des cours sont partagés par plusieurs universités québécoises, selon leur localisation géographique et leurs champs de spécialisation. Finalement, on pourra clore ce portrait en évoquant l’existence d’une pléthore de formations pointues, offertes par le secteur privé, voire par les plus grosses organisations policières elles-mêmes, et destinées à la mise à jour des compétences techniques nécessaires aux opérations de maintien de l’ordre et des enquêtes spécialisées.

Références :

  • Alain M., Baril C., 2005a, Attitudes et prédispositions d’un échantillon de recrues policières québécoises à l’égard de leur rôle, de la fonction policière et des modalités de contrôle de la criminalité, Les Cahiers de la sécurité, 58, 185-212.
  • Alain M., Baril C., 2005b, Crime Prevention, Crime Repression, and Policing: Attitudes of Police Recruits Towards Their Role in Crime Control, International Journal of Comparative and Applied Criminal Justice, 29, 2, 1-26.
  • Alain, M. & Grégoire, M. (2008) Can ethics survive the shock of the job? Quebec’s police recruits confront reality.  Policing & society, 18(2) : 169-189.
  • Alain, M. (soumis, 2010). Les processus d’insertion professionnelle d’un échantillon de recrues policières québécoises : bilan d’une enquête longitudinale de six ans. Article soumis à la revue la revue Déviance et Société.
  • Bellemare, J., 1996, Les pratiques policières en matière d’enquêtes criminelles au sein des corps de police du Québec, Sainte-Foy, Publications du Québec.
  • Chan J., 2003, Fair cop: learning the art of policing, Toronto, University of Toronto Press.
  • Corbo, C. (1997). Vers un système intégré de formation policière. Ministère de la Sécurité publique, Sainte-Foy.
  • Dubar C., 2000, La socialisation : construction des identités sociales et professionnelles, Paris, A. Colin.
  • Dubar C., Tripier P., 2003, Sociologie des professions, Paris, Armand Colin.
  • Dupont, B. et Pérez, É. (2006). Les polices au Québec. Presses Universitaires de France, Paris.
  • Funk, A. et Reinke, H. (1992). La police en République Fédérale d’Allemagne, in Polices d’Europe (coll.). L’Harmattan, Paris.
  • Poitras, L., 1998, Pour une police au service de l’intégrité et de la justice, Sainte-Foy, Publications du Québec.

 


[1] Un des effets notable de ce contingentement est d’avoir considérablement gonflé de policières les rangs de cette profession traditionnellement masculine. Comme on sait qu’en général les jeunes femmes sont nettement plus assidues aux études que leurs confrères masculins, elles affichent des rendements scolaires qui leur ouvrent plus facilement la porte des programmes contingentés. Ce qui fait donc que sans même s’être dotées de politiques officielles de discrimination positive, les organisations policières québécoises ont vu leur rangs être occupés par près de 40 pour cent de policières au cours des quelques dernières années.
[2] Il est important de souligner ici qu’au contraire de la plupart des « académies » de police en Amérique où les étudiants ont déjà été recrutés par une organisation policière, organisation qui en conséquence défraie une salaire de base et les coûts liés à ce stage final, les futurs policiers québécois ne vont être formellement engagés qu’au terme des 15 semaines de stage. Bien sûr, c’est ce futur policier qui assume alors une partie substantielle des coûts associés à son passage à l’ENPQ et il n’est pas non plus inscrit sur la liste de paie d’une organisation policière.

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Sous la direction de Benoît Dupont et Stéphane Leman-Langlois

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